Marie de Jacques Duquesne
C’est à une entreprise de philologie, de déconstruction, que se livre Jacques Duquesne – journaliste, fondateur de l’Express et du Point, auteur de nombreux romans et essais dont une excellente vie de Jésus, indispensable à la bonne compréhension des Evangiles (au passage, lisez aussi celle d’Ernest Renan, un chef d’œuvre littéraire et humaniste) – dans ce Marie.
Duquesne n’aime justement pas Marie, la mère de Jésus. Quand je dis « il n’aime pas », je signifie par là que c’est l’image que l’on a de Marie qui l’insupporte. La virginité de la mère du Messie ? De la bêtise, puisque les Evangiles nous parlent de la famille de Jésus, de ses frères et sœurs ! L’immaculée conception, ce dogme des années 60 qui fit de Marie une femme vierge de tout pêché ? Une triste conclusion de plusieurs siècles de mariologie sans raison, de fascination excessives de la part de saint et de théologiens dégouttés de la chair, haïssant la femme et se réconfortant des pécheresses en soliloquant sur le corps chaste et pure d’une femme incarnant la figure maternelle. La Mère contre la Putain en somme.
En lisant Duquesne, comment ne pas vouloir se rallier à lui ? Comme ne pas s’exclamer que tout cela ne tient pas la route, que ce sont des bêtises ? Lors de ma première lecture, ce fut mon sentiment. Mon premier et fort sentiment. D’une part, je découvrais une femme réhabilitée sous la plume de Duquesne qui bataillait pour en faire le portrait le plus fidèle possible et qu’un méchant coup était porté à ces affreux catholiques.
Et puis, depuis, avec mes réflexions, ma propre conversion spirituelle… les choses ne sont plus si simples. Car, le temps passant, ce livre de Duquesne instillait progressivement en moi des pensées ô combien éloignées de celle qu’il suscita en moi.
Car voilà : si l’on regarde l’histoire du personnage Marie à travers les siècles, malgré tout ce qu’en dit Duquesne, comment nier que les réflexions des théologiens soient malgré tout leurs défauts et obsessions si fortes et si justes. Puisqu’il y a un pêché originel et qu’il se transmet à l’enfant, si Marie n’était pas vierge de tout pêché, comment Jésus en aurait-il été sauvé ? Imagine-t-on le Christ avec le pêché originel ? Cela peut se défendre si on interprète son baptême par Jean-Baptiste comme le besoin de se purifier de ce fameux pêché. Néanmoins ce serait une interprétation bien éloignée de celle de Benoît XVI dans son Jésus pour lequel Jésus se baptise pour mourir. Oui, mourir : prendre sur lui les pêchés du monde, s’enfoncer dans l’Hadès : une annonce de son sacrifice à venir, un moment de soumission voulue, délibéré, rappelant aussi ce moment de la Genèse où l’esprit saint planait sur les eaux. Toute recommence, tout redémarre, Jésus réitère la naissance du monde en lui. Enfin, voilà pour la position de l’Eglise…
Toutefois, reste un autre problème : pourquoi Marie fut-elle si forte face à Gabriel, si disponible, comme en attente lorsque ce dernier lui annonce qu’elle enfantera le Messie ? A aucun moment elle ne remet en doute sa parole, à aucun moment elle ne cherche à se dédouaner de ses responsabilités. Dieu est cause de son désir. Or, si l’on accorde quelque valeur aux Evangiles, si l’on croit à ce qu’écrit saint Luc, on ne peut pas négliger ce point. Le « Oui » que lance Marie (et dont Saint Jérôme eut une intuition forte, écrivant « fiat », ce mot utilisé par Dieu dans la Genèse : « fiat lux ! » - « que la lumière soit ! » ; Marie permet au Monde de retrouver la Lumière par l’acceptation pleine et entière de son être à la volonté de Dieu).
Pour sa virginité, difficile de contrer Duquesne. Qu’une femme enfante vierge d’un Dieu, après tout, cela n’a rien d’impossible si l’on estime que Dieu est ce qu’il est. Toutefois, une fois l’enfant venu au monde, comment penser qu’elle le soit toujours ? L’hymen se trouve fatalement rompu. Et les preuves extrêmement précises qu’apporte Duquesne sur les sœurs et frères de Jésus ne permettent pas le doute. Cette femme a enfanté après lui. Alors, pas de virginité ? Physiquement, cela ne paraît pas possible, mais reste celle du cœur. Etre vierge en son âme, c’est l’être de tout pêché ; on y revient.
Enfin, grand coup d’estocade de l’essayiste lorsqu’il démontre que Marie a été sanctifiée et placée à l’égal de Jésus : dormition, assomption, avocate auprès de Dieu, garante des pêchés et des mourants… La grande déesse mère ressuscitée affirme-t-il après Carl Gustave Jung ! Il ne faut pas plaisanter non plus monsieur Duquesne : dans une Eglise d’où la femme est niée et tue, Marie représente une figure féminine parfaite certes, mais la seule. La seule qui incarne une facette féminine de Dieu. Equivalent à la Shekinah juive – ange du Seigneur, nuée présente aux hébreux dans l’Exode, mais aussi aspect féminin qui préside aux unions. Marie / Jésus : facettes féminines et masculines de la même figure. Bonne intuition au contraire, belle vision. Que tant de beautés soient sorties de la bouche de théologiens sexuellement névrosés devrait finalement être pris en compte. Quand une belle idée sort de la bouche d’un homme pêcheur ou tiraillé par ses émotions, cela ne rehausse-t-il pas de fait sa parole ?
Au final, ce livre est un indispensable. Ca se lit bien, comme un roman, une enquête policière où l’on ne cherche pas à démasquer un coupable mais retrouver une femme, la vraie, celle derrière les voiles des dogmes et des conciles. Le croyant trouvera cela blasphématoire, l’athée s’en servira pour distiller son venin. Celui qui pense n’en n’aura pas peur : il prendra le temps de le lire, de réfléchir, de contre argumenter, de se laisser séduire… On n’aura jamais le fin mot de l’histoire sur les Evangiles et leurs vérités. La Foi restera une irréductible folie comme le pressentait saint Paul. Que Marie fut vierge ou pas, pure de tout pêché ou pas, cela n’enlève rien au point crucial : elle a porté le Christ, elle l’a élevé avec Joseph son époux, elle a participé à faire ce qu’il a été puisque Jésus est tout autant humain que Dieu. Rien que cela, rien que le fait qu’elle fut la mère de Jésus suffit à en faire une femme exceptionnelle et magnifique. Qu’on se trompe en exagérant cette magnificence, qu’on se trompe sur elle, finalement qu’importe. Dieu pardonnera : aimer celle qui a porté le Sauveur ne peut être un pêché.
Plon, 18,50 euros.