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Le blog de Menon
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28 décembre 2020

Sans boue, pas de lotus de Thich Nhat Hanh

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Vous souffrez ? nous interroge Thich Nhat Hanh. Certes, mais sans souffrance, comment peut-il y avoir du bonheur ? La souffrance fait partie de la vie. Pourtant, il nous serait plaisant de pouvoir nous soigner, nous en préserver. Nhat Hanh entend nous expliquer comment procéder.

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Selon Thich Nhat Hanh, il faut être en pleine conscience de sa souffrance et l’entourer d’une manière aimante comme une mère avec son bébé. En prenant soin de notre douleur, nous la reconnaissons. Elle apparaît alors telle qu’elle est ; en la traitant bien, nous pourrons la surmonter nous enseigne le célèbre moine bouddhiste vietnamien.

 

Vraiment ? Ce conseil est-il un si bon conseil ? Pas sûr.

 

En effet, on constate que lorsqu’on souffre, plus on pense à sa souffrance et plus elle se renforce. Donc, une telle technique pourrait fonctionner chez une personne suffisamment aveugle pour ne pas réaliser qu’elle va mal et qui se mentirait à elle-même.

Par contre, pour une personne en dépression (Nhat Hanh donne cet exemple), accueillir sa dépression avec amour est une contradiction dans les termes puisque le propre du dépressif est de ne pas s’aimer. Et plus il pensera à sa dépression et plus il en souffrira. Tâcher de comprendre les causes, par compte, peut permettre d’aller mieux ; mais pour cela, il faut être encadré – tout seul, on ne peut arriver à rien puisque la dépression constitue un système clos ; la question de l’inspire et de l’expire en devient même problématique (regardez un dépressif inspirer et expirer pour retrouver un calme intérieur – vous m’en direz des nouvelles).

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Le tort de Nhat Hanh est de penser de façon manichéenne. Dans certaines situations, par exemple au travail, il est impossible de pouvoir laisser aller sa souffrance et l’accueillir. A contrario, il vaut mieux se laisser distraire afin de désamorcer la dite-souffrance. Par contre, dans un cadre sécurisé, on peut évidemment pratiquer des exercices de respiration et entamer une introspection. Mais croire que la pleine conscience nous sauvera me semble par trop optimiste ; car la souffrance empêche de vivre le moment présent, occupant chaque seconde.

 

En fait, pour Nhat Hanh, la prise de conscience doit permettre de déconstruire la souffrance. La personne doit en retracer sa généalogie ; ainsi, en partant du constat de la souffrance et en remontant à la cause ou aux causes, elle pourra trouver le remède approprié : un médicament, une nouvelle hygiène de vie, un changement professionnel, etc. Mais, dans tous les cas, il s’agit de comprendre que l’apparence, ou l’avoir, ne remplace pas l’identité ou l’être. Pour guérir, nous devons nous reconnecter avec ce que nous sommes et aimer ce que nous sommes ; sinon, nous aurons beau changer de métier ou acheter une nouvelle voiture, nous n’aurons pas réglé le problème.

Tout cela semble très simple mais la mise en pratique s’avère extrêmement difficile. Il s’agit donc d’en passer par la méditation ; inspire et expire ; prise de conscience. D’où la présence, en seconde partie du livre, de méthode d’inspire/expire et de mantras à réciter.

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Le reste de l’ouvrage propose des suites de conseils pour cultiver la joie qui évoquent hélas plus le new age que le Bouddhisme – ainsi nous invite-on à nous réjouir d’avoir des yeux et de pouvoir regarder ou encore de respirer. S’ancrer dans le sol en position assise ou marcher en plein conscience et voilà le bonheur. Quels que soient nos malheurs, il nous suffit d’ouvrir les yeux pour regarder la beauté qui nous entoure.

On ne sait quoi dire devant de telles naïvetés. Imaginons une personne ouvrant les yeux dans son lit et constatant la place absente, à ses côtés, de celui qu’elle aime et qui n’est plus. Vraiment, où se trouve le bonheur dans le voir ? Suffit-il de se dire que tout est impermanent pour se dégager d’une telle situation ?

 

Le problème de Naht Hanh, c’est qu’il a une forte tendance à estimer qu’il suffit de penser et vivre comme lui pour se sentir heureux. Or, il est moine. Cela ne signifie nullement que son « métier » serait facile ; mais en vivant dans une communauté où la chose spirituelle occupe une place déterminante qui structure toutes les activités du jour, il semble évidemment plus simple de vivre comme lui. Ainsi, que penser de son conseil d’apprécier de se vider aux toilettes (voire même en récitant un poème) ? Ce n’est pas qu’il s’agit d’un mauvais conseil, loin de là, mais Naht Han ne pense pas que certains sont constipés ou que certaines mères de famille doivent parfois « expédier » en l’espace de quelques secondes pour ne pas s’éloigner trop d’enfants qui, sans sa présence, sont capables de tout.

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Nhat Hanh me donne l’impression de sacrifier à une célèbre formule entendue dans mon enfance : « Le grand y’a-qu’à-faut-qu’on. » Or, comme le suggère Nisargadatta Maharaj dans Je suis, rien ne changera tant que le noyau intérieur ne sera pas nouveau. Ainsi, je lui cède la place pour la conclusion de cet article critique (voilà assurément ce qui manque pour le lecteur de cet ouvrage afin de comprendre l’enseignement même de Naht Hanh) : « … le faux s’évanouit quand il est découvert. Toute repose sur l’idée « je suis ». Examinez-la soigneusement. Elle est à la base de toutes les afflictions. C’est une espèce de peau qui vous sépare de la réalité. Le réel est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la peau, qui n’est pas elle-même réelle. L’idée « je suis » n’est pas née avec vous. Vous auriez très bien pu vivre sans elle. Elle est venue plus tard et elle est due à votre auto-identification au corps. Elle a créé l’illusion d’une séparation là où il n’en existait pas. Elle a fait de vous un étranger dans votre monde et elle a rendu ce monde hostile, inamical. La vie, en l’absence de l’idée « je suis » continue. Il y a des instants, quand nous n’éprouvons pas cette sensation « je suis » où nous sommes en paix, heureux. C’est avec le retour du « je suis » que le chagrin s’installe. »

 

Sans boue, pas de lotus de Thich Nhat Hanh (Le Courrier du Livre, 138 pages, 15 euros)

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