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Le blog de Menon
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9 mai 2020

Je suis de Nisargadatta Maharaj

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Voilà LE livre sur l’éveil spirituel. Celui qui jouit de la réputation la plus flatteuse. Et on comprend pourquoi ! Je suis, constitué de 101 entretiens entre le maître Nisargadatta et de multiples visiteurs venus prendre conseils auprès de lui, inflige (le terme n’est pas trop fort) une doctrine radicale. Laquelle ? La voici :

Selon Nisargadatta Maharaj, nous ne sommes jamais nés, pas plus que nous allons mourir. C’est le corps qui naît et qui meurt. Réellement, nous sommes l’Absolu qui joue au jeu de la vie ; qui se produit sur une scène de théâtre. Un exemple : dès son enfance, une femme est déjà la mère de ses propres enfants – la temporalité en mode successifs relève de l’illusion ; la vérité a déjà été déployée en une seule fois puisque nous jouons le script écrit par un autre – Dieu ? (Pour le maître, Dieu n’est qu’une invention du mental). En ce cas, il faut se détacher de toute contingence, et se désidentifier du corps, donc de l’évènement, pour garder uniquement présent à l’esprit sa véritable origine.

Plus troublant encore, Nisargadatta affirme que le monde qui nous entoure n’est pas réel et que c’est nous qui le créons à chaque instant et qu’une fois retournés à la source du Soi, le monde nous apparaîtra parfait. Ainsi explique-t-il : « Dès l’instant où vous avez réalisé que le monde est votre propre projection, vous en êtes libéré. Vous n’avez pas besoin de vous libérer d’un monde qui n’existe pas, sauf dans votre imagination. Que la peinture soit belle ou horrible, c’est vous qui la peignez et nous n’êtes pas lié par elle. Réalisez qu’il n’y a personne pour vous l’imposer, que tout cela n’est dû qu’à l’habitude de prendre l’imaginaire pour le réel. Voyez l’imaginaire comme tel et soyez libéré de la peur. » (Question : comment fait-on quand le monde qui nous entoure est réellement affreux ? Ainsi, si je mène une vie tranquille, je devrais en effet pouvoir dépasser peurs et angoisses et, au-delà de mes désirs non satisfaits et déceptions du quotidien, m’affirmer comme étant en paix dans un monde en paix. Mais si, par exemple, mon enfant meurt dans un accident, me voilà face à une situation objectivement terrible. J’entends bien qu’une fois le Soi atteint on puisse voir les nuances du tableau et comprendre que la mort de mon enfant ne doit pas polariser mon regard au point de ne pas voir le tableau dans son ensemble, mais ne faut-il pas alors avoir réalisé le Soi avant de pouvoir penser ainsi ? N’est-il pas plus facile de réaliser le Soi quand tout va bien ? Quelles sont les chances de le réaliser lorsqu’on crève de faim sous un pont de Paris ? Sont-elles plus importantes, aussi importantes ou moins importantes que lorsque l’on mène une vie tranquille et pacifiée ?)

Se désidentifier du corps trouve notamment une implication pratique que je cite in extenso tant elle me semble puissante : « Vous êtes en compagnie d’une femme attirante. Des idées prennent corps à ce sujet cela crée une situation sexuelle. Un problème vient de naître et vous vous plongez dans des livres sur la continence ou l’art d’aimer. Si vous étiez un bébé vous auriez pu être nus tous les deux ensembles sans que se pose le moindre problème. Cessez de penser que vous êtes un corps et les questions d’amour et de sexe perdront toute signification. » Puis, plus loin : « Mon guru m’a dit : « Cet enfant qui, encore maintenant, est vous, est votre vrai soi. » 

Toujours sur le même sujet : « Se garder de tout désir, se contenter de ce qui vient de soi-même, est une attitude très fructueuse – un premier pas vers l’état de plénitude. Ne méprisez pas sa stérilité et sa vacuité apparentes. Croyez-moi, c’est la satisfaction des désirs qui engendre la misère. La liberté vis-à-vis du désir est béatitude. » Son interlocuteur réplique : « Il y a des choses dont nous avons besoin. » Nisargadatta lui répond ceci : « Ce dont vous avez besoin se présentera à vous si vous ne désirez pas ce dont vous n’avez pas besoin. Mais peu de gens atteignent cet état de lucidité totale et de complet détachement. C’est un état très haut, le seuil même de la libération. » (C’est moi qui souligne.)

Mais comment faire pour réaliser un tel état ? Voici la méthode que préconise le maître : « Comportez-vous comme si vous étiez pure Conscience, dépourvue de corps et de mental, hors du temps et de l’espace, au-delà du « où », du « quand », du « comment ». Tenez-vous y, pensez-y, apprenez à en connaître la réalité. Ne vous y opposez pas, ne le niez pas constamment. Ayez, enfin, l’esprit ouvert. Le yoga soumet l’externe à l’interne. Faites que votre mental et votre corps expriment le réel qui est le tout, et au-delà de tout. En agissant, vous réussirez, pas en argumentant. »

Nisargadatta ne cesse d’insister auprès de ses interlocuteurs sur le fait d’être Je suis et de se coller à cette notion, de la répéter sans cesse. Nombreux sont ceux, sur les sites consacrés à l’Eveil, à répéter cela, donnant donc l’idée qu’être Je suis est formidable. Mais ce n’est pas le cas du tout ! Nisargaddata révèle, au cours d’un échange avec des aspirants, la vérité de sa technique : « … le faux s’évanouit quand il est découvert. Toute repose sur l’idée « je suis ». Examinez-la soigneusement. Elle est à la base de toutes les afflictions. C’est une espèce de peau qui vous sépare de la réalité. Le réel est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la peau, qui n’est pas elle-même réelle. L’idée « je suis » n’est pas née avec vous. Vous auriez très bien pu vivre sans elle. Elle est venue plus tard et elle est due à votre auto-identification au corps. Elle a créé l’illusion d’une séparation là où il n’en existait pas. Elle a fait de vous un étranger dans votre monde et elle a rendu ce monde hostile, inamical. La vie, en l’absence de l’idée « je suis » continue. Il y a des instants, quand nous n’éprouvons pas cette sensation « je suis » où nous sommes en paix, heureux. C’est avec le retour du « je suis » que le chagrin s’installe. »

De là, on voit la formidable duplicité de la pensée de Nisargadatta qui invite à communier dans le Je suis pour que quelque-chose éclate – il s’agit de réaliser qu’il n’y a pas de Je suis. Personne n’existe réellement. Tout le monde se croit bien solide, mais c’est un leurre. Un tel, par exemple, aime manger des gâteaux à la crème. Pourquoi ? Parce qu’enfant, son plaisir du mercredi était, avec sa mère, de se rendre à la boulangerie en acheter un. Soit. Mais où se trouve-t-il dans cette équation ? Certes, on commence par lui, mais on rajoute « sortie du mercredi », « boulangerie », « mère », voire même « manger ». Et ce sans même évoquer le gâteau à la crème. Si, au cours de ces fameuses sorties, il avait mangé un chausson au pomme, ce serait ce qu’il adorerait manger aujourd’hui. Tout est contingent et soumis à un historique personnel plus ou moins conscient.

Tel autre pensera qu’il est honnête et loyal sans comprendre que cette éthique ne serait pas la sienne sans l’éducation et le parcours qui est le sien. Il n’est certainement pas honnête et loyal per se : on l’a « fait » ainsi. D’où la surprenante proposition des moines zen : retrouver son visage originel d’avant sa naissance. Qui étais-je lorsque je suis né ? Assurément, aujourd’hui, nous récoltons le karma non pas d’une vie antérieure, mais simplement des péchés de nos parents. Mourir à cette réalité ; découvrir son visage originel. Tout reprendre à zéro.

Pour autant, sa doctrine ne relève pas du nihilisme, puisqu’il affirme aussi : « Réalisez que tout ce qu’il y a dans l’univers de beau, de noble et de vrai, vient de vous, que vous en êtes vous-même la source. Les dieux et les déesses qui dirigent le monde peuvent être des êtres merveilleux, glorieux ; ils sont, cependant, comme ces serviteurs dont la splendide livrée proclame la puissance et la richesse de leur maître. »

Seconde méthode pour faire exploser le moi : « Le plaisir est facilement accepté alors que le moi rejette de toutes ses forces la douleur. Puisque l’acceptation de la douleur est la négation du moi, et que le moi est un obstacle sur le chemin du vrai bonheur, quand vous acceptez de tout votre cœur la douleur, vous ouvrez les vannes du bonheur. »

Enfin, je ne résiste pas au plaisir de vous donner à lire in extenso un échange entre le maître et un visiteur quelque-peu arrogant : rarement Nisargadatta aura-t-il été aussi prolixe et clair :

Visiteur : "J'ai travaillé dur et aujourd'hui, je me considère comme un homme ayant très bien réussi. Je serais un hypocrite si je ne reconnaissais pas tirer de ma réussite une grande satisfaction et, je le reconnais, une certaine fierté. Cela serait-il mal?"

Cette question fut posée un soir à Maharaj par un visiteur étranger-la quarantaine passée, l'air suffisant, sûr de lui et légèrement agressif. Le dialogue se poursuivit en ces termes:

Maharaj : Avant de poursuivre et de voir ce qui est "bien" et ce qui est "mal", dites-moi, s'il vous plaît, qui pose cette question ?

Visiteur : (Un peu interloqué) Et bien..."moi", bien sûr!

Et qui est-ce "moi"?

Moi. Ce "moi" qui est assis devant vous.

Et vous pensez que cela, c'est vous?

Vous me voyez. Je me vois. Quel doute peut-il y avoir?

Vous voulez dire cet objet qui se trouve devant moi?

Quel est votre plus lointain souvenir de cet objet que vous pensez être? Remontez aussi loin que le pouvez.

(Au bout d'une ou deux minutes) Mon premier souvenir, ce serait peut-être d'être caressé et cajolé par ma mère

Vous voulez dire, alors que vous étiez un tout petit enfant. Diriez-vous que l'homme arrivé d’aujourd'hui est ce même enfant désarmé, ou bien est-ce quelqu'un d'autre?

V: C'est indubitablement le même.Bien. Maintenant, si vous remontez encore plus loin, êtes-vous d'accord pour dire que ce petit enfant, dont vous avez le souvenir, est ce même bébé totalement démuni, incapable ne serait-ce que de se rendre compte de ce qu'il se passait quand son petit corps exerçait ses fonctions naturelles, et qui ne pouvait que pleurer quand il avait faim ou se trouvait dans une quelconque détresse?

Oui, j'étais ce Bébé.

Et avant que le bébé se constitue un corps et vienne au monde, qu'étiez-vous?

Je ne comprends pas.

Si, vous comprenez. Réfléchissez. Que s'est-il produit dans le sein de votre mère?

Qu'est-ce qui s'est développé pendant neuf mois pour devenir un corps avec des os, du sang, de la moelle, des muscles, etc. ? N'était-ce pas une cellule de semence mâle qui s'est associé à un ovule dans la matrice, débutant ainsi une nouvelle vie et qui, ce faisant, a dû traverser une multitude de dangers ? Qui a sauvegardé cette nouvelle vie pendant cette période à haut risques ? N'est-ce pas cet infinitésimalement minuscule Spermatozoïde qui est aujourd'hui si fier de sa réussite ?

Et qui vous a spécifiquement demandé, VOUS ?

Votre mère ? Votre père ? Désiraient-ils spécifiquement vous avoir, VOUS, pour fils ?

Avez-vous eu quoi que ce soit à voir avec le fait d'être né de ces parents-là en particulier ?

Je crains de n'avoir jamais réellement pensé en ces termes.

Exactement. Pensez en ces termes. Alors peut-être aurez-vous quelque idée de votre véritable identité. Après quoi, voyez si vous pouvez en quoi que ce soit être fier de ce que vous avez "fait" et "réussi".

Je crois que je commence à comprendre ou vous voulez en venir.

Si vous approfondissez le sujet, vous réaliserez que la source du corps - la semence mâle et l'ovule femelle - est en elle-même l'essence de la nourriture consommée par les parents ; que la forme physique est faite, et nourrie des cinq éléments qui constituent la nourriture ; et vous verrez aussi que très souvent, le corps d'une créature devient la nourriture d'une autre créature.

Mais sûrement, je dois être, moi en tant que tel, autre chose que ce corps-nourriture.

Bien sûr, mais pas "quelque chose". Voyez ce qui donne la faculté de perception à un être, sans laquelle vous ne sauriez même pas que vous existez, sans parler du monde extérieur. Enfin, allez encore plus profondément et examinez si cette existence, cette conscience elle-même n'est pas soumise au temps.

Je ne manquerai pas d'étudier les diverses questions que vous avez soulevées bien que, je dois l'avouer, je n'aie jamais exploré ces domaines auparavant ; et j'ai presque la tête qui me tourne devant mon ignorance de ces nouvelles sphères que vous m'avez ouvertes. Je reviendrai vous voir, monsieur.

Vous êtes toujours le bienvenu.

 

Je suis de Nisargadatta Maharaj (Les Deux Océans, 608 pages, 34,50 euros)

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