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Le blog de Menon
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21 janvier 2008

Des choses cachées depuis la fondation du monde de René Girard

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René Girard est LE penseur de notre temps. Il y a eu Freud, Marx et Nietzsche ; Lévi-Strauss, Lacan et Sartre ; aujourd’hui, il y a Girard et… qui d’autres ?

Anthropologue spécialisé dans la question des rapports entre violence et sacré, Girard a simplement transformé notre vision des rapports entre violence et culture et des liens entretenus avec le religieux. Il a réhabilité la Bible comme personne auparavant, non pas pour des motifs personnels mais par une véritable étude et analyse des textes.

Des choses cachées depuis la fondation du monde constitue le moment clé de son œuvre : s’entretenant avec Jean-Michel Oughourlian (Neuropsychiatre et psychologue, professeur de psychologie clinique à l'université et responsable de l'unité de psychiatrie de l'Hôpital Américain de Paris) et Guy Lefort (un autre psychiatre), Girard revient sur ses deux premiers ouvrages, Mensonges romantiques et vérités romanesques (où il donne naissance au concept de rivalité mimétique) et La violence et le sacré (qui le voit fonder le lien entre mythes archaïques et violence – fonction du bouc émissaire), avant de s’intéresser à la lecture de la Bible (Ancien et Nouveau Testament), la psychanalyse, la folie et la question du désir.

Cet ouvrage est, disons-le, monumental, difficile d’accès et réservé à des personnes ayant une solide base culturelle littéraire et analytique. Néanmoins, avec des efforts et de la volonté, on peut tout à fait en venir à bout.

La base théorique de Girard se révèle en effet d’une simplicité désarmante : la violence est inscrite au cœur de la société. Les individus passent leur temps à convoiter ce que l’autre possède ou croit posséder, ou encore désirent devenir ce que l’autre semble être. Cette rivalité mimétique affole les personnes inscrites dans la relation, et grossit, devient de plus en plus importante, jusqu’au moment où la tension atteint un point stratégique impliquant un affrontement. La survie du groupe étant en jeu, la communauté va alors s’inventer un bouc émissaire, une personne présentant des travers physiques ou mentaux suffisamment forts pour exciter la colère de la communauté. Elle en oublie ses querelles et décide de se vider de sa violence sur l’innocent. Ce dernier, assassiné ou acculé à la mort, va emporter avec lui, en une catharsis terrible, la colère du groupe. Fédéré grâce à cette victime, la communauté va alors diviniser la victime puisque, grâce à cette dernière, la violence qui a manqué de détruire la cohésion du groupe a cessé. Plus tard, cette victime apparaîtra donc sous les traits d’une divinité dans les mythes de la tribu.

La thèse paraît quelque peu simpliste et difficile à apprécier dans un premier temps. On a ainsi du mal à comprendre comment la victime pourrait devenir Dieu si rapidement. Mais en fait, dans les mythes, elle apparaîtra comme coupable, responsable de la crise mimétique ayant agité la communauté. Et sa mort aura été causée par un prêtre, un Dieu ou encore une malédiction divine qui, en la frappant, aura arrêté la souffrance de la communauté. Bref, une théorie coup de poing que Girard justifie quelque peu maladroitement, faute d’exemple, puisqu’il résume en réalité les théories de La violence et le sacré.

Mais cette théorie finit néanmoins par s’imposer au lecteur par la force de persuasion de l’auteur et par quelques exemples bien choisis qui illustrent parfaitement son propos. Mais le gros du morceau arrive ensuite : Girard démontre, textes à l’appui que la Bible, et encore plus le Nouveau Testament, donnent raison à sa théorie et que Jésus traite directement de cette question ! Certains, à la lecture de ces lignes, imagineront que je me suis laissé piéger par le verbe de Girard et qu’une telle chose est impossible. Et pourtant non ! L’analyse des textes bibliques proposée par l’auteur ne souffre pas l’à peu près : la démonstration est rationnelle et cohérente.

Reste un point qui me paraît contestable : Girard affirme et démontre que Jésus ne s’est jamais sacrifié et que sa crucifixion a été un accident non prévu et non désiré. Or, il s’agit là de la théorie de Jacques Duquesne dans Le Dieu de Jésus et elle m’avait déjà parue absurde à l’époque. Je comprends pourquoi Girard insiste sur ce point, mais il faudrait que je relise les textes car cela me paraît douteux.

Après ce passage ô combien stupéfiant, Girard et ses deux interlocuteurs s’attaquent à la psychanalyse à qui ils font un sort en traitant de la question du désir. Un trop long passage plutôt décevant faute d’exemple et opaque. Il faut attendre l’étude du narcissisme freudien pour commencer à apprécier les arguments de Girard se livrant à une magistrale remise en cause de Freud. Dommage que cette discussion n’ait pas inclus un analyste car, à n’entendre qu’un seul point de vue, on perd hélas beaucoup. Sans compter que la question de l’inconscient reste intouchable. Après tout, qu’est-ce que la théorie de Girard sinon une affirmation nouvelle de l’existence de l’inconscient ?

Le livre se poursuit par une analyse de l’hypnose, de l’homosexualité et du sado-masochisme, le tout, dans le but de décrédibiliser la psychanalyse pour mieux rendre hommage à la nouvelle théorie girardienne. Là encore, les passages sont complexes, manque parfois de simplicité et sont, fautes d’exemples, quelque peu difficiles à suivre.

Pour terminer, Girard revient sur la notion de skandalon du Nouveau Testament, associant Satan, scandale et désir, et conclue dans une dernière synthèse l’essai qui aura révolutionné l’approche du religieux dans la constitution de la société et donné au visage du Christ une dimension intellectuelle (je ne vois pas d’autres termes) aussi surprenantes qu’enrichissantes, y compris pour des athées (car en aucune manière ce livre ne demande une croyance. Il informe avant tout) !

Pour terminer, il nous faut tout de même émettre quelques bémols : pour commencer, on se demande l’intérêt d’une discussion à trois. Les interlocuteurs de Girard ne servent pratiquement à rien durant le livre et se contentent de lui servir la soupe, de le louanger et de se comporter comme des groupies devant une superstar. Risible et pathétique.

Dégouttant, enfin, l’attitude de Girard qui ne se contente pas de démontrer la faiblesse des thèses de ses adversaires structuralistes et psychanalystes, mais tombe dans une sorte de calomnie molle consistant à discréditer, railler et moquer sans pour autant pouvoir le faire jusqu’au bout, ce qui conduit Girard à souligner à de nombreuses reprises le « génie de Freud ». Par ailleurs, à cette méthode peu élégante, on doit ajouter une certaine lâcheté du procédé. Annuler le structuralisme et le freudisme en un tour de main n’a pas de sens. Girard conteste certains points et pense détruire tout l’édifice, mais ce n’est pas le cas : rien de ce qu’il dit ne permet de combattre l’idée d’inconscient. Rien ne permet de penser que Freud a eu tort sous tout. Girard veut absolument que sa théorie passe et s’impose mais il en oublie les kilomètres de pages écrites en psychanalyse par Freud étayant ses hypothèses. Ainsi, pour Girard, le complexe d’Œdipe ne tient pas la route : et pourtant, quid des relations de l’enfant mâle avec sa mère et des rapports avec sa mère ? Quid du désir de la fillette vis-à-vis du père ? Il aurait fallu un ouvrage à part pour envisager de détruire l’édifice freudien.

Néanmoins, au-delà des polémiques de l’époque (l’ouvrage date de 1978), cet essai magistral s’impose pour tout Chrétien : sa lecture transformera sa vision de la Bible et lui permettra d’accéder à un niveau de compréhension des textes qu’il n’avait jamais eu jusque là. Pour les autres, l’intérêt est tout autant, voire presque plus important, puisque la question du religieux et du judéo-chrétien trouveront une place à laquelle il n’avait jamais sans doute pensé. Ce sera aussi l’occasion d’une sévère remise en cause du modèle grec, entièrement fondé sur la violence et qui est pourtant considéré comme la belle norme chez nous et enseigné même aux enfants !

Le Livre de poche, 7,50 euros.

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Commentaires
D
En ce qui concerne la critique que fait Girard du complexe d'Oedipe, j'ai l'impression que vous n'avez pas bien compris qu'il ne s'agit pas de nier la possible rivalité entre le fils et son père pour la mère en tant qu'objet (bien qu'il me faille admettre avec vous que la déconstruction en règle des dogmes de la psychanalyse mériterait peut-être qu'on s'y attarde plus longuement), mais plutôt l'origine de ce désir qui, selon Freud, serait biologique et fondamentalement liée à l'objet maternel tandis que pour Girard, ce n'est qu'une conséquence du mimétisme avec le père pris pour modèle.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant au choix de présenter le livre sous forme d'entretien avec deux psychiatres, la partie qui traite directement de folie me semble le justifier.<br /> <br /> <br /> <br /> Cela dit, merci pour votre belle présentation de l'ouvrage.
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M
C'est simple : le temps.<br /> C'est le temps qui fait tout.<br /> <br /> Le souvenir de l'évènement primaire s'efface : on oublie que la victime a suscité la haine. On se souvient uniquement que sa mort a entrainé une réconciliation.<br /> <br /> De fait, la victime est divinisée par erreur.
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B
Moi, aussi j'ai du mal à comprendre comment la victime peut bien devenir un dieu alors qu'elle a été lynchée par la foule.
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B
Moi, aussi j'ai du mal à comprendre comment la victime peut bien devenir un dieu alors qu'elle a été lynchée par la foule.
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M
Ainsi expliqué, ce choix suscite déjà moins mon étonnement. Merci pour la réponse =)
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