Le grand pouvoir de la prière de Saint Alphone de Liguori
Ce petit traité est étonnant et pour tout dire, étonnant d'intelligence et de complexité malgré un faible nombre de pages. La première fois que je le lus, je fus séduit et contrarié par les propos tenus. A entendre Saint Alphonse, le Christ nous exaucerait forcément, toute prière serait entendue comme le proclame d'ailleurs Jésus dans les Ecritures. Si ce traité me parut véhiculer un sain espoir, je trouvais délirant de croire que la prière fonctionnerait forcément. Si une telle chose était vraie, personne ne serait dans la peine et l'affliction.
Mais cette seconde lecture m'a faire revenir sur mes idées. Je ne m'étais pas rendu compte que notre Saint ne prétend pas que la prière marche toujours. En réalité, elle obéit à certaines conditions. Conditions en apparences faciles et évidentes mais presque insurmontables dans les faits. Qui ose encore s'adresser à Dieu avec dévotion, humilité et constance ? Qui harcèle Dieu de ses demandes en parfait état de soumission ? Qui est capable de réaliser ce qui ressemble à une oxymore ? Comment imaginer Dieu comme un Père plein d'amour et nous comme son enfant souffrant ? Qui arrivera à se détacher du Réel (dont Jacques Lacan disait qu'il constituait un mur contre lequel on bute) pour croire, totalement et pleinement, que s'époumoner intérieurement fera s'étendre la main de Dieu sur nous ?
En réalité, amputés que nous sommes de toute transcendance possible. Souffrants d'un matérialisme immonde qui nous coupe de notre propre Jardin d'Éden intérieur, nous sommes désormais incapables de croire que nous pouvons traverser la garde des Chérubins à qui Dieu confia la route du Paradis. Nous avons lu pendant des années qu'ils la gardaient contre notre venue. Or, rien ne le prouve. Au contraire, ils pourraient bien la garder ouverte pour que nous revenions !
Français que nous sommes, nous sommes meurtris dans nos âmes et nos corps et ce traité, bien lu, nous le rappelle. Pour que la prière fonctionne, qu'elle soit efficace, il faut s'abandonner et croire totalement à ce que nous faisons. Il ne faut pas prier « au cas où », mais prier comme un mendiant avec une insistance effrontée et littéralement harceler Dieu sans se soucier de soi, de son égo et de son orgueil. Dans les faits, personne ne peut le faire. Ceci explique bien pourquoi, désormais, prier nous est impossible : le doute cartésien est venu balayer nos certitudes moyenâgeuse.