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18 novembre 2020

Nâgârjuna et la doctrine de la vacuité de Jean-Marc Vivenza

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Le Bouddhisme qui me fascine se trouve là. Dans ce court livre de Jean-Marc Vivenza se déploie un concentré de métaphysique iconoclaste qui brise toutes nos certitudes sur le réel, sur nous-mêmes, sur notre véritable nature, sur le Soi, sur le samsâra, sur la réincarnation, etc.  Qu’importe ce que fut la vie réelle de Nâgâjurna. On doute qu’il vécut 600 ans et on doute qu’il reçut des sutras de la main du peuple serpent. Ce qui compte, c’est son attachement au bouddhisme le plus radical, celui de la pure vacuité.

 

La vision de Nâgâjurna est à la fois simple à comprendre et difficile à expliquer. Rien n’est permanent. Ce qui naît, meurt. De ce qui meurt, naît la vie. Ce qui vit semble, mais n’est pas. Ce qui semble n’a aucune consistance. Buée des buées, tout est buée dit le livre de l’Ecclésiaste dans la traduction d’A. Chouraqui – c’est-à-dire : tout passe, tout coule, rien de permanent, tout est en mouvement permanent (Héraclite).

 

Si un être naît, où se trouvait-il avant de naître ? Cette simple question renverse tout ce que l’on croit savoir sur l’être. Comment quelque-chose peut naître ? D’où viendrait-il ? S’il vient de l’être, pourquoi l’être donnerait-il de l’être ? D’où l’être tiendrait-il la possibilité de se dupliquer ? S’il ne naît pas, pourquoi, alors, semble-t-il tangible ? S’il s’avère tangible, bien réel, alors peut-il être soumis à la destruction ? Certes, en apparence. Mais alors, où se trouve cette destruction ? Comment peut-elle venir ? D’où vient-elle ? Autant de questions renversantes qui amènent Nâgâjurna non pas à prétendre que rien n’existe comme l’affirme George Berkeley dans ses Principes de la connaissance humaine (Dieu étant le garant de la fixité), mais à choisir la voie médiane. Si on ne sait pas comment naissent les choses, comment elles disparaissent, c’est que tout est vacuité. Tout passe, rien de permanent. Donc, on ne peut rien en dire.

 

Car voilà le fond de la pensée de Nâgâjurna. On ne peut pas dire qu’une chose est, pas plus qu’elle n’est pas. Pour exister, elle doit être perçue. Certes, mais pour être perçue, encore faut-il qu’elle préexiste à la perception. Or, nous venons d’affirmer que le point de vue crée l’objet. Donc, aporie. Donc, silence prudent. Nous ne savons pas. Donc, rien de permanent, tout est vacuité.

 

Et cela va encore plus loin !

Dans ce cas, si rien n’est, quelle différence entre le samsâra et le nirvana ? Car où se trouve-t-il ce nirvana ? Qui le produit ? Qu’est-ce qui le rend plus réel que le samsâra ? Rien, rien du tout. Donc, il n’y a ni nirvana ni samsâra.
Et enfin, on comprend de quelle métaphysique se réclame la doctrine de l’Eveil subit. On saisit d’où parlent un U. G., un Krishnamurti ou un Ramana Maharshi. S’il n’y a ni nirvana ni samsâra, alors il n’y a pas non plus d’Eveil. L’Eveil est déjà là. Nous sommes tous des bouddhéités. Et voilà pourquoi, pour les tenants de l’Eveil subît, il n’y a rien à faire, aucun rituel à observer, aucune pratique à pratiquer. Il suffit d’être et de voir que rien n’est. Le vide laissant tout vide, il ne reste plus rien. Ce rien conduit à la vérité de l’impermanence. L’impermanence conduit à la dissolution du nirvana dans le samsâra et inversement. Nous devenons des libérés-vivants.

 

Dans les appendices concluant l’ouvrage, Jean-Marc Vivenza s’intéresse au concept de néant chez Maître Eckhart, à la doctrine de l’être chez Aristote, saint Thomas d’Aquin ou Martin Heidegger – il relève une filiation tue, mais pourtant bien présente. Il montre comment la position de Nâgâjurna, toute choquante et déstabilisante soit-elle n’a rien d’une pensée isolée, qu’elle possède bien sa contrepartie occidentale.

 

Assurément, Nâgârjuna et la doctrine de la vacuité de Jean-Marc Vivenza s’impose comme un très, très grand livre ; le genre de livre qui vous ouvre les yeux, vous retourne le cerveau, vous laisse là, secoué, soulevé, balayé et illuminé.

 

Nâgârjuna et la doctrine de la vacuité de Jean-Marc Vivenza (Albin Michel, 250 pages, 7,90 euros)

 

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