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Le blog de Menon
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6 novembre 2017

La pensée est votre ennemie – Entretiens fracassants avec U.G. (Les Deux Océans)

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Après Le mental est un mythe et Rencontres avec un éveillé contestataire, je lis pour la troisième fois U. G. Krishnamurti avec La pensée est votre ennemie. Le sous-titre de l’ouvrage, Entretiens fracassants, n’a rien d’un effet de style. Effectivement, ici tout comme ailleurs, lorsque U. G. Krishnamurti prend la parole, il devient iconoclaste.

Mais avant de rentrer dans le détail, il faut savoir pourquoi on considère U. G. (1918-2007) comme un maître spirituel ; alors même que, pour lui, il n’existe aucun dieu et aucune marche spirituelle (mais nous reviendrons aussi sur ces points).

I/La « calamité
Alors qu’il atteint sa quarante-neuvième année, U. G. vit, un jour, une transformation physique qu’il appelle sa « calamité ».

U. G. éprouve une transformation radicale de tout son être, une transformation de sa conscience et une transformation de son corps. A l’issu de cette « calamité » relatée avec force détails dans Rencontres avec un éveillé contestataire, U. G. dut réapprendre tout ce qu’un Homme sait, comme s’il était un enfant. Il repartit de zéro et devint un autre. A compter ce de jour, il ne fut plus réellement un homme, mais « un ordinateur ». Son esprit devint un simple filtre traitant de manière factuelle les données ; il était toujours capable d’interactions sociales ; mais, lorsqu’il se retrouvait seul, U. G. ne percevait plus ni envie, ni manque, ni rien. Face à un interlocuteur, il ne faisait plus de différence entre lui et l’autre. Pour lui, tout était relié dans une même chaîne. Car seul notre mental organise et filtre le réel. Il nous fait croire qu’il existe des choses bonnes ou mauvaises, du bon ou du mauvais, du laid ou du beau.

Désormais, pour U. G., il n’y a plus rien que le flux de la vie. Son corps est tout son être. Il n’y a donc ni dieu, ni diable ; ni réincarnation, ni vie après la mort. Il n’y a rien qu’une vie, intense et fabuleuse ; puis, ensuite, plus rien ; un rien ne pouvant être pensé.

II/L’ascèse spirituelle
Par ailleurs, il n’existe rien de concret sous le vocable d’ascèse spirituelle. U. G. estime que sa transformation s’est produite indépendamment de tout son riche cheminement spirituel auquel il a pourtant consacré sa vie.

Il pense, par ailleurs, qu’il est impossible à quiconque travaille son cheminement spirituel d’arriver à quoi que ce soit. Lorsqu’on l’interroge sur ce sujet, U. G. explique quelque-chose comme : Vous cherchez la libération ? La libération constitue un état – le chercher signifie que vous ne l’avez pas trouvé ; Cette recherche filtre par votre mental et votre mental pense qu’on peut ne pas être libéré : vous ne pouvez donc pas l’être ; le jour où vous comprendrez qu’il n’y a aucune libération, vous serez libéré. Et vos prières, méditations et autres pratiques spirituelles ? Laissez tomber ! ne faites rien ! ne vous demandez rien ! Ca viendra ou pas…

Ce qui lui est arrivé à lui, Bouddha ou Jésus est la conséquence de l’Evolution ; que cela arrive à une poignée d’individus par le jeu de la mutation génétique ; et que personne ne peut atteindre cet état par un effort quelconque.

III/Les sources philosophiques d’U. G.
Pour notre penseur, toutes nos souffrances viennent du mental. Ce dernier est spécifique à notre espèce. Le mental, en catégorisant et classifiant, nous a permis 1) de rentrer dans un mode de conscience réfléchie ; 2) de nous développer au-delà des limites classiques à une espèce et de devenir l’espèce dominante. Seulement, ce même mental a induit deux problèmes : 1) nous croyons qu’il existe une permanence de notre égo (un Je qui parle) alors qu’il n’y a aucun Je, aucune identité, juste un corps vivant ; et 2) nous pensons qu’il existe un temps avec une succession d’évènements raccordés les uns aux autres (c’est-à-dire l’expérience) – de fait, nous ne vivons pas le moment présent ; a contrario, nous classifions, structurons nos expériences dans un projet chronologique au lieu de considérer toute expérience comme unique et, par ailleurs, si nous supprimions cette obsessions de la continuité, nous vivrions sans conscience et dans un pure ressenti instinctif propre à celui des animaux.

Par ailleurs, U.G. pense que notre mental filtre tout. Par exemple, nous ne pourrons jamais pleinement vivre un coucher de soleil : lorsque nous le regardons, notre mental analyse, classifie, structure l’expérience. Nous ne regardons donc pas le soleil se coucher ; nous le pensons. Tout est ainsi chez lui : Vous méditez ? Mais vous ne pouvez pas chasser votre esprit en méditant puisque méditer est une activité… de votre esprit. Donc, éloignez ses pensées par d’autres pensées n’a aucun sens. Perte de temps. Ne rien faire vaut tout autant…

Cet iconoclasme ravageur et excitant, U. G. prétend l’avoir compris depuis sa « calamité ». On pourra lui faire remarquer que des philosophes comme George Berkeley, David Hume ou Claude Tresmontant ont clairement soulevé tout cela bien avant lui, au moins pour les deux premiers.

En conclusion…
Faut-il estimer que La pensée est votre ennemie ne serait qu’une synthèse de philosophie sceptique et/ou idéaliste ? Nullement. Je pense qu’U. G. ne dit pas clairement la vérité. Il est impossible que ce qui lui soit arrivé se soit produit indépendamment de 49 années de vie spirituelle. Au fond, ce qu’il dit parlera à ceux engagés sur la voie de la recherche spirituelle et correspond à une forme de lâcher-prise salvateur. Il s’agit, à un moment, de tout abandonner, de comprendre que la fin de toute souffrance arrive non pas parce qu’on la recherche, mais par surcroît. Une fois l’impasse atteinte, l’on accepte le fait qu’il n’y a plus rien derrière le mur, alors le mur se fissure et laisse le passage s’ouvrir à condition que l’on comprenne qu’il n’y a ni mur, ni prisonnier et ni sortie. Mais comme le dirait U. G., cette compréhension ne sera jamais effective car elle passe par le mental. Il faut tout perdre. Se perdre définitivement. Et ensuite ? Il n’y a plus rien à dire.

 

La pensée est votre ennemie – Entretiens fracassants avec U.G. (Les Deux Océans, 128 pages, 19,27 euros)

 

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