Sans doute connaissez-vous les tout premiers versets de la Bible :
Genèse 1 (traduction Louis Segond)
1.1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
1.2 La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
1.3 Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.
1.4 Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres.
Mais savez-vous que cette traduction est fausse ? Il n’est pas écrit Dieu dans le texte hébreu. En réalité, on y lit Elohîms. Ainsi, André Chouraqui propose :
1. ENTÊTE Elohîms créait les ciels et la terre,
2. la terre était tohu-et-bohu, une ténèbre sur les faces de l’abîme, mais le souffle d’Elohîms planait sur les faces des eaux.
3. Elohîms dit: « Une lumière sera. » Et c’est une lumière.
4. Elohîms voit la lumière: quel bien ! Elohîms sépare la lumière de la ténèbre.
Chouraqui nous indique bien, dans sa traduction, qu’Elohîms est un pluriel. On associe souvent le terme à un « Nous » de majesté. Ainsi, n’hésite-t-on pas à traduire, Dieu créa etc. puisqu’on estime qu’Elohîms est un des noms de Dieu.
Dans les faits, rien n’est moins sûr. En réalité, Elohîms doit se traduire par Elle-les-dieux. Oui, Elohîms désigne bien des divinités femelles et on peut le comprendre comme qualifiant les forces des déesses de la fécondité, sous les ordres de YHVH. Car le vrai Dieu (si j’ose dire), apparaît au Chapitre 2 :
Chapitre 2.
1. Ils sont achevés, les ciels, la terre et toute leur milice.
2. Elohîms achève au jour septième son ouvrage qu’il avait fait. Il chôme, le jour septième, de tout son ouvrage qu’il avait fait.
3. Elohîms bénit le jour septième, il le consacre : oui, en lui il chôme de tout son ouvrage qu’Elohîms crée pour faire.
4. Voilà les enfantements des ciels et de la terre en leur création, au jour de faire IHVH-Adonaï Elohîms terre et ciels.
Et là, nouvelle complication. Le monde a été créé et soudainement, le récit de la création repart, en commençant cette fois-ci par l’Homme. Et ce ne sont plus Elle-les-dieux qui officient, mais IHVH-Seigneur d’Elle-les-dieux, le Tétragramme imprononçable :
7. IHVH-Adonaï Elohîms forme le glébeux Adâm, poussière de la glèbe Adama. Il insuffle en ses narines haleine de vie : et c’est le glébeux, un être vivant.
8. IHVH-Adonaï Elohîms plante un jardin en ‘Édèn au levant. Il met là le glébeux qu’il avait formé.
9. IHVH-Adonaï Elohîms fait germer de la glèbe tout arbre convoitable pour la vue et bien à manger, l’arbre de la vie, au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
Etrange récit de la Genèse : deux fois le monde se crée ; une sous l’hospice des déesses ; l’autre sous celui de leur Seigneur et maître. Les deux récits ne sont pas séparés par le passage d’un chapitre à l’autre et se contredisent.
La Bible, décidément, n’a pas fini de nous surprendre…
Si la traduction de Segond est perfectible, elle a l’avantage d’être lisible et compréhensible. Une traduction de qualité doit posséder ces deux traits, qu’importe la complexité ou la difficulté du texte initial.
Quiconque a lu Le Livre sait que le mot Dieu, en tant que tel, apparait très rarement, ce serait une violation d’un des Dix commandements.
A la place, on use donc de périphrases, on parle de Tout Puissant, notamment. Ainsi, Elohim est infiniment plus usité que YHVH.
Elohim contient la racine sémitique que l’on retrouve dans Allah, El ou Il. Il est inconcevable que ce terme se réfère à autre chose qu’à Dieu. Effectivement, cette racine pourrait être valable pour un dieu ou une déesse, mais de là à dire comme Chouraqui que Elohim est un terme féminin, non. On pourrait dire que ce mot, Elohim, est un neutre.
Ensuite, l’histoire du fameux pluriel -Elohims- a fait couler beaucoup d’encre, souvent en vain.
Certes Elohim est un pluriel, certes l’hébreu ignore le pluriel de majesté et celui de qualité, il connait par contre celui de quantité. Ce qui, à la condition où on n’y prenne pas garde, signifierait que « les dieux » créèrent le monde. Cette traduction est fausse et absurde.
Au pire, la religion hébraïque fut un hénothéisme ou une monolâtrie à son début.
On en retrouve une trace dans l’épisode du Buisson Ardent où YHVH dit à Moïse : « tu n’adoreras d’autres dieux que moi », mais elle n’a jamais adorée qu’un seul Dieu qui ne peut être nommé.
Pour comprendre ce passage d’un hénothéisme ou d’une monolâtrie à un monothéisme absolu et l’histoire des proto-hébreux, il faut lire le livre de Finkelstein « la bible dévoilée ». Ce livre, basé sur l’archéologie et la paléographie, montre qu’au XIIIème siècle avant notre ère, plusieurs communautés de langues sémitique (les Aparous ?) vivant en Palestine, au moment où le royaume de Pharaon périclita avec l’effondrement du Moyen-Empire et les invasions des Peuples de la Mer, abandonnèrent la consommation du porc (animal consacré à Seth, le Dieu Serpent symbole de mort opposé à Osiris symbole de vie), devinrent sédentaires et adorèrent un Dieu particulier qui se nomme YHVH, Adonaï ou Elohim suivant l’endroit où l’on se trouve.
L’écriture du Pentateuque, longue, laborieuse, cherchera à unifier et à rendre cohérente les différentes traditions quand les royaumes hébreux seront fondés.
Revenons à ce curieux Elohim qui est bien un mot pluriel. On notera que le verbe qui suit est au singulier, ce qui est étrange, logiquement de dire "ils créa".
Elohim, je ne mets pas de "S" final pour cette raison désignerait donc un ensemble, un agglomérat, une figure polymorphe quoique-une.
De la même façon qu’Allah à cent noms, YHVH, inconnaissable et insaisissable est multiple tout en étant un, d’où ce pluriel incongru.
Il me semble que l'ami Chouraqui, comme souvent, force trop son interprétation personnelle.