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Le blog de Menon
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4 mai 2020

L'invention de Jésus de Bernard Dubourg

 

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La philologie est-elle un sport de combat ? On pourrait le penser en lisant le premier tome de l’Invention de Jésus de Bernard Dubourg. De manière précise, ce spécialiste de l’Hébreu affirme, à la suite de Claude Tresmontant dans Le Christ hébreu, que les Evangiles ont originellement été écrits en langue hébraïque et pas grecque.

Pour ce faire, il démontre que, contrairement aux affirmations des universitaires, au siècle de Jésus l’hébreu n’était pas une langue morte remplacée par l’araméen. Il souligne que le Nouveau Testament est truffé d’hébraïsme alors que les savants affirment que la langue du NT est du koïné, du grec de marchands : or, depuis quand du grec, même du grec cosmopolite, serait-il truffé d’hébraïsme ? Cela n’a aucun sens.

Fort de cette constatation, Dubourg entend procéder par rétroversion pour retrouver le texte hébreu. En quoi cela a-t-il son importance ? Tout d’abord parce que l’hébreu du NT reprend – c’est paradoxal – de nombreux termes grecs et latins dont il transforme le sens. Ainsi, lorsqu’on traduit le NT, on croit lire du grec, alors qu’il faut chercher le sens que les termes grecs avaient pour les hébreux de l’époque. De plus, le texte hébreu que Dubourg reconstruit semble obéir aux règles de la Kabbale juive, science herméneutique de l’Ecriture. Sans cette connaissance de la Kabbale, les jeux de mots et liens entre les mots et idées ne passent plus.

Là où on ne peut plus suivre Dubourg, toutefois, c’est en cela qu’il prétend que Jésus n’a jamais existé. Comment arrive-t-il à une telle conclusion ? Puisque tout le NT répond à des jeux de langages et que tout ce qui touche à Jésus est codé selon la Kabbale, alors c’est que Jésus est une fiction littéraire. Mais cet argument ne tient pas la route une seule seconde. En effet, Dubourg affirme que les rédacteurs du NT sont de pieux Juifs bien décidés à écrire des textes qui soient aussi sacrés que la Thora. Comment imaginer des hommes, aussi concernés par leur travail, inventer une histoire ? Cela reviendrait à dire que ce sont des falsificateurs. Or, ils ne peuvent pas tout à la fois révérer la Thora et en inventer la suite selon leur fantaisie.
Pour que le NT fût, il aura été indispensable qu’un personnage suffisamment proche de Jésus ait existé pour servir de modèle. Or, Dubourg reconnaît que le NT n’a pu être écrit qu’avant 70, date de la chute de Jérusalem puisque les Evangiles sont écrits par des hommes n’ayant manifestement aucune idée que la cité tomberait. Dans ce cas-là, quand les Apôtres commencèrent à évangéliser, ils le firent depuis Jérusalem : or, comment imaginer qu’ils aient inventé un Jésus au nom duquel ils convertissaient et que personne ne pouvait connaître puisqu’il n’existait pas ! C’est tout simplement absurde. Soit il y a eu Jésus et dans ce cas-là, il devait sans doute être proche de ce qu’en disent les Evangiles puisqu’écrit avant 70 alors que Jésus mourut dans les années 30 – soit une période de mise par écrit de 40 ans environ après les faits, soit les Evangiles furent écrits tardivement et en grec, ce qui justifie l’idée que le personnage fut inventé. Mais même là, inventé à partir de quoi ?

Outre cette affirmation ô combien contestable, la méthode de B. Dubourg aussi impressionnante qu’elle paraisse à la lecture pose tout de même quelques problèmes. Ainsi, l’auteur nous fait connaître les termes grecs employés chez Matthieu en 27, 27-31. Il affirme que les hébreux du 1er siècle les ont repris à leur compte en les translitérant selon leur alphabet. Donc, pour en restituer le véritable sens il les traduit depuis l’hébreu et non pas du grec. Dubourg affirme que sa découverte remet complètement en question la traduction habituelle de ces termes. Or, que découvre-t-on au final ? Que le sens hébraïque est, à quelques infimes nuances près, le même que celui en grec !

De plus, les différents calculs kabbalistiques auxquels il se livre sont à ce point permissifs (on peut supprimer le zéro ; additionner les chiffres ; les multiplier ; j’en passe et des meilleurs) qu’ils permettent de vérifier n’importe quelle hypothèse.
En effet, Dubourg se livre à des gématries permettant de « relier » des termes qu’on sait déjà être reliés comme Fils avec Ressuscité, etc. Mais a-t-il songé à vérifier si de tels rapprochements ne seraient pas possibles entre des termes qui n’ont rien en commun ? A mon avis, si ! La plasticité des calculs kabbalistiques permet de découvrir, par les chiffres, n’importe quel rapprochement. De tels calculs fonctionnent à l’instar des preuves de l’existence de Dieu ; en ne convainquant que ceux qui le sont déjà. (Et, dans notre ère matérialiste, la présence de chiffre qui donne des équivalences entre Jésus et tel autre élément du Nouveau Testament permet de tout prouver tant nous fonctionnons selon le règne de la quantité.)

Mieux, même : tout ce qui se vérifie selon Dubourg via ses calculs kabbalistiques a pourtant été déjà confirmé, avant lui, par tous les bons théologiens, ce qu’il semble ignorer, se prenant pour le premier, depuis le début du Christianisme, à enfin y comprendre quelque-chose. Et comment les Pères de l’Eglise et autres théologiens ont décrypté le Nouveau Testament ? Certainement pas par la Kabbale ; simplement en lisant le texte en grec ou en latin et en prenant au sérieux ce qui est écrit ; en faisant travailler leur intelligence. En clair, Dubourg conchie vingt siècle de théologie chrétienne pour lui préférer sa Kabbale dont il se donne bien garde de nous dire par qui, où et comment il a été initié. (Eh ! oui : pour devenir Kabbaliste, il faut avoir un maître. Or, Dubourg ne croyant pas en Dieu, je m’étonne qu’un véritable kabbaliste ait initié un goy à cette science ésotérique par excellence, juste pour lui permettre de se livrer à des calculs interminables en vue d’écrire un livre.)

Toutes mes critiques ne remettent pourtant pas nécessairement en cause le travail de B. Dubourg. Il faut certes le prendre avec des pincettes, mais il n’en est pas moins passionnant. Notamment le troisième chapitre consacré à une question à priori absurde : pourquoi, dans le conte de Perrault Le maître chat, ce dernier donne-t-il à son maître le nom de marquis de Carabas ? C’est à une véritable enquête policière à travers un étrange texte de Philon d’Alexandrie que va se livrer Dubourg. Enquête qui nous fera découvrir une très étrange scène située en 38 après J.-C., en Judée, ou un simple d’esprit ( ?) vit ce qui ressemble fort… à la passion de Jésus ! Rien que pour ce chapitre d’une virtuosité incroyable, il faut lire ce livre.

 

L’invention de Jésus, tome I – L’Hébreu du Nouveau Testament de Bernard Dubourg (Gallimard, 283 pages, 22,40 euros)

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