Ennemis publics
Qu'est-ce qui fonde la qualité d'un dialogue ? Sur quoi décide-t-on de réunir deux personnes pour les faire s'entretenir de politique, de philosophie ou de religion ? Y avait-il logique ou raison à faire correspondre Michel Houellebecq, écrivain du désenchantement et de la morosité avec Bernard-Henri Lévy, chantre de l'indignation programmé, figure de l'intellectuel engagé qui joue à faire son Sartre, à moins qu'il ne s'agisse de Malraux ou Camus : autant de références dont il n'arrivera sans doute jamais à se défaire ?
Non.
Bien sûr que non.
Et pourtant, malgré l'impossibilité logique de voir ces deux là se parler, force est de constater que le dialogue est passionnant. Vraiment passionnant.
En deux jours et demi d'hospitalisation, je n'ai pas pu le lâcher, ni eu envie de lire autre chose. Et maintenant que je l'ai fini, je me sens désœuvré et comme orphelin. Ce genre de livre, je pourrais ne lire que cela. S'ils publiaient un deuxième tome de leur correspondance, je l'achèterais sans hésiter.
Et pourtant, ce ne sont pas les mêmes hommes qui se parlent. De Houellebecq, déjà, je n'ai rien lu. Mais je vais m'y mettre... malgré tout, je trouve qu'il n'a pas un très beau style. Ses lettres sont plates avec des formules familières, un manque de rigueur dans leurs constructions et des faiblesses dans l'argumentation.
Face à lui, Lévy joue au professeur. Difficile de faire autrement avec un trublion désenchanté qui balance des horreurs sur la Russie ou la souffrance des uns ou des autres. Lévy le sauve littéralement. J'en ris encore : il n'y a tellement pas de matière dans les lettres de son cadet, que l'aîné réussit à attraper un tout petit morceau de rien du tout qui n'était même pas l'embryon d'une pensée chez son comparse et ce petit bout de rien du tout, il en sort une thèse philosophique !
C'est fascinant.
C'est toute la tristesse
du petit employé de bureau mal dans sa peau et complexé
face à l'hédoniste jouisseur de sa propre culture.
C'est cette opposition fascinante, moment centrale du livre, entre la vision d'un Houellebecq pour qui l'homme est une pierre lancé dans le vide et un Lévy qui, bien qu'athée, ne conçoit pas autre chose comme vision de l'Homme que celle de créature de Dieu. C'est dans cette opposition stupéfiante entre ce regard désenchanté sur le monde, plein de tristesse et sans sans grande rigueur, comme si ce monde nous écrasait trop pour que nous puissions le penser, et cette formidable envie de vivre et d'en jouir que se noue la thèse du livre.
Et puis, il y a ces pages pleines de beauté et de tendresses sur leurs pères respectifs. Cette façon très touchantes qu'ils ont tous deux de parler de leur géniteur et comment ils ont pu le regarder, enfant. Ce sont des pages d'une grande finesse et qui méritent assurément la lecture.
Plongez-y dans ce livre ! Allez-y ! Vous ne le regretterez pas : une formidable occasion de se cultiver, de plonger dans la pensée juive, de respirer les battements de cœur du monde.