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Le blog de Menon
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23 novembre 2008

Ennemis publics

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Qu'est-ce qui fonde la qualité d'un dialogue ? Sur quoi décide-t-on de réunir deux personnes pour les faire s'entretenir de politique, de philosophie ou de religion ? Y avait-il logique ou raison à faire correspondre Michel Houellebecq, écrivain du désenchantement et de la morosité avec Bernard-Henri Lévy, chantre de l'indignation programmé, figure de l'intellectuel engagé qui joue à faire son Sartre, à moins qu'il ne s'agisse de Malraux ou Camus : autant de références dont il n'arrivera sans doute jamais à se défaire ?

Non.
Bien sûr que non.

Et pourtant, malgré l'impossibilité logique de voir ces deux là se parler, force est de constater que le dialogue est passionnant. Vraiment passionnant.

En deux jours et demi d'hospitalisation, je n'ai pas pu le lâcher, ni eu envie de lire autre chose. Et maintenant que je l'ai fini, je me sens désœuvré et comme orphelin. Ce genre de livre, je pourrais ne lire que cela. S'ils publiaient un deuxième tome de leur correspondance, je l'achèterais sans hésiter.

Et pourtant, ce ne sont pas les mêmes hommes qui se parlent. De Houellebecq, déjà, je n'ai rien lu. Mais je vais m'y mettre... malgré tout, je trouve qu'il n'a pas un très beau style. Ses lettres sont plates avec des formules familières, un manque de rigueur dans leurs constructions et des faiblesses dans l'argumentation.

Face à lui, Lévy joue au professeur. Difficile de faire autrement avec un trublion désenchanté qui balance des horreurs sur la Russie ou la souffrance des uns ou des autres. Lévy le sauve littéralement. J'en ris encore : il n'y a tellement pas de matière dans les lettres de son cadet, que l'aîné réussit à attraper un tout petit morceau de rien du tout qui n'était même pas l'embryon d'une pensée chez son comparse et ce petit bout de rien du tout, il en sort une thèse philosophique !

C'est fascinant.
C'est toute la tristesse du petit employé de bureau mal dans sa peau et complexé face à l'hédoniste jouisseur de sa propre culture.

C'est cette opposition fascinante, moment centrale du livre, entre la vision d'un Houellebecq pour qui l'homme est une pierre lancé dans le vide et un Lévy qui, bien qu'athée, ne conçoit pas autre chose comme vision de l'Homme que celle de créature de Dieu. C'est dans cette opposition stupéfiante entre ce regard désenchanté sur le monde, plein de tristesse et sans sans grande rigueur, comme si ce monde nous écrasait trop pour que nous puissions le penser, et cette formidable envie de vivre et d'en jouir que se noue la thèse du livre.

Et puis, il y a ces pages pleines de beauté et de tendresses sur leurs pères respectifs. Cette façon très touchantes qu'ils ont tous deux de parler de leur géniteur et comment ils ont pu le regarder, enfant. Ce sont des pages d'une grande finesse et qui méritent assurément la lecture.

Plongez-y dans ce livre ! Allez-y ! Vous ne le regretterez pas : une formidable occasion de se cultiver, de plonger dans la pensée juive, de respirer les battements de cœur du monde.

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Commentaires
M
De BHL, je ne garde pas un bon souvenir de l'oeuvre. J'en ai lu pas mal et je n'ai, je crois, rien gardé dans ma bibliothèque. L'idéologie française m'avait fait un gros effet lors de sa lecture et je te le conseillerais : c'est ce livre où il discute la thèse d'un fascisme français. La barbarie à visage humain m'est tombé des mains lorsque j'ai voulu le relire – trop lyrique, trop précieux. Pourtant, j'avais adoré ce livre et il m'avait ouvert des pistes culturelles passionnantes (en cela, je ne suis pas étonné que tu sois sensible au charisme culturel de BHL : c'est un bon passeur) ; idem pour le Siècle de Sartre extrêmement référencé, mais trop, au point où on se trouve noyé sous les références littéraires et culturelles : ça en devient indigeste. Mais c'est aussi un formidable ouvrage culurel qui, là encore, m'avait ouvert de nombreuses portes.<br /> <br /> Pour Houellebecq, je comptais lire son essai sur Lovecraft de toute façon : j'aime l'auteur et le point de vue d'un écrivain français reconnu sur lui m'intéresse. Et ensuite, je verrais ce qu'il y a à la bibliothèque proche de mon travail, mais je crois que Les particules y sont...<br /> <br /> concernant Naulleau, il me fait rire, tout comme Zemmour : ils assènent des vérités souvent dérangeantes (enfin, plutôt pour Zemmour) et se livrent à des numéros de massacre qui sont réjouissants parce que bon, ça ait du bien de voir des petites consciences de gauche ou de petits intellectuels de rien du tout se faire remettre à leur place... néanmoins, je dois dire que, tout comme toi, je trouve que ces messieurs prennent une mauvaise tournure. Zemmour, déjà, avec son récent dérapage sur les races, c'est costaud... mais Naulleau, on a vraiment la sensation qu'il a décidé de faire payer à tous ceux qui passent su le plateau le privilège d'être confronté à sa lumière. Quand je vois, ou plutôt entends, ce qu'il a le culot de dire sur Mort et vie d'Edith Stein de Yann Moix, je suis choqué : ton bouquin, c'est du niveau de wikipédia, qu'il lui lance ! Ne pas faire référence une seule fois à l'hagiographie et l'apologétique chrétienne pour parler de ce qui n'est rien d'autre qu'une hagiographie à visage contemporain, c'est effarant de bêtise et de manque d'intégrité intellectuel...
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D
Je mentirai en disant que j’apprécie follement BHL. L’homme public me parait vain et d’une prétention absolue. Cependant, à la lecture de sa correspondance, j’ai été surpris de découvrir un BHL profond et réellement passionnant. J’envisage de lire plus attentivement son œuvre !<br /> <br /> Par contre j’aime beaucoup Houellebecq. C’est cette affection qui me poussa à lire ce livre. Je me demandais ce que ces deux personnes aussi différentes pouvaient se dire. <br /> Il est possible que cette rencontre improbable ait découragé de nombreux lecteurs. Pourtant, les contraires s’attirent parfois, on se souvient que Marylin Monroe fut mariée, peu de temps certes, à Arthur Miller… Dans quelques mois, le livre ressortira en Poche, il trouvera peut être enfin le public qu’il mérite.<br /> <br /> Houellebecq est un esprit nihiliste fascinant. C’est un excellent critique littéraire et je regrette qu’il n’officie plus aux Inrocks. Sa brève critique de Prévert : « Jacques Prévert est un con », était d’une sauvagerie et d’une profonde justesse. Je suis d’accord avec lui quand il écrit des gens perpétuellement heureux qu’ils sont des benêts ou des imposteurs.<br /> Houellebecq assume sa postmodernité. Zemmour n’a pas entièrement tort quand il le tient pour « la caricature » de l’écrivain post soixante-huitard. Il ne croit plus aux idéaux, même si dans ses échanges avec BHL on sent qu’il aimerait être croyant. Il ne croit plus dans la culture, pourtant il est cultivé, mais pour lui la culture est un snobisme maniéré. Il décrit perpétuellement une humanité obsédée par le sexe et par des activités vides de sens (comme les festivités). L’espèce humaine apparaît chez lui à la fois vaine, futile, sans but, pathétique, mais aussi d’un réalisme dérangeant et un brin obscène.<br /> Si tu veux lire cet auteur, je te suggère de commencer par son essai « Lovecraft : Contre le monde, contre la vie » et par son roman « Les Particules Elémentaires », on les trouve en J’ai Lu.<br /> <br /> Concernant Naulleau, je suis au regret de dire que, plus je le vois, plus il me déçoit. <br /> Autant j’appréciais l’éditeur qui avait découvert Jourde, autant je n’apprécie pas son coté donneur de leçon. Que diable, il n’est pas vérité incarnée ! Il devient aussi prétentieux que Josyane Savigneau, ex du Monde des Livres, qu’il assassinait pourtant il n’y a pas si longtemps…Dans le « Jourde et Naulleau », il décortiquait avec malice, la prose souvent absurde de nos auteurs contemporains, en pastichant le célèbre et pesant Lagarde est Michard. Les chapitres sur De Villepin ou sur Angot sont hilarants.<br /> L’ennui est que Naulleau devient aussi pontifiant et ennuyeux que le Lagarde et Michard lui-même. Dommage.
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M
Eh bien, je ne pensais pas que tu aimerais ce livre, ni même que tu l'aurais lu. Il me semblait, à t'avoir lu, que tu n'estimais guère BHL...<br /> <br /> Quant à ce que tu écris, c'est très juste, tu as parfaitement cerné le ton du livre, son intérêt et je suis d'accord avec toi sur la discussion entre Naulleau et BHL : paradoxalement, c'est elle qui m'a donné envie de lire le livre ! Je ne sais pas trop pourquoi, mais il y avait quelque chose de médiocre dans l'acharnement de ce critique qui me fit penser que cet excès de haine à l'égard des deux auteurs répondait justement très bien à ce qu'ils avaient analysés... et puis, quand BHL parla de questions de Foi, cela me donna encore plus envie de le lire. Quand je pense à ce sur quoi se crispe Naulleau alors qu'il y a des richesses dans ce bouquin, c'est affolant ! <br /> <br /> On sent vraiment que le coup de "la meute" a insupporté tout le monde. Bizarrement, BHL se défendit très mal chez Ruquier : il n'avait que peu de noms à citer alors qu'il lui aurait suffit de faire référence à l'acharnement de la blogosphère à son égard. Pour Houellebecq, je suis au moins au courant, il est vrai... En les lisant, j'ai bien entendu songé à René Girard que BHL a lu (ce que j'ignorais... j'imagine qu'il en parle dans le Testament de Dieu mais je n'en n'ai pas souvenir – il faut dire qu'à l'époque je ne connaissais pas Girard). Et effectivement, on retrouve cette colère des lyncheurs qui ne supportent pas l'idée qu'on ait pu les circonscrire : rien de plus dangereux que de révéler le principe du bouc émissaire : généralement, on n'y gagne rien !<br /> <br /> Quant à l'échec du livre, je suis effectivement surpris : pourquoi n'a-t-il pas marché ? Mystère... peut-être est-il trop « bizarre » : je pense qu'un échange Michel Onfray/BHL aurait attiré beaucoup plus de monde. Lui et Houellebecq n'ont pas grand chose en commun : sans doute est-cela qui a découragé la lecture.
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D
Je suis content que tu aimes ce livre. Rarement j’ai lu des choses aussi intelligentes sur la foi, sur la littérature et la vie en générale. Le passage sur le père de BHL touche au sublime.<br /> En fermant ce livre on n’a qu’une seule envie : se replonger dans nos classiques !<br /> Le livre est savoureux : voir deux hommes aussi différents discuter ensemble est rafraîchissant, ils me font étrangement penser à Sancho Pancha et à Quichotte. <br /> Le cynique forcené qui ne croit en rien qui accompagne l’idéaliste absolu. A priori, ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Pourtant, ils sont indissociables comme les deux faces de la même pièce de monnaie. L’un voit le monde comme un néant, l’autre le voit comme un rêve. <br /> <br /> Houellebecq prend un malin plaisir à faire tourner en bourrique BHL en affirmant ne pas comprendre ce qu’il écrit. BHL tire des quelques lignes névrotiques de Houellebecq des spéculations philosophiques ahurissantes. Ils s’amusent beaucoup de ce petit jeu. Nous aussi. On pense à Diogène tançant narquoisement Platon. <br /> Ce livre, en plus d’être intelligent est follement drôle.<br /> <br /> Les voies du succès sont décidément surprenantes. Là où un Luc Ferry vend ses livres par camions, ce fameux « Ennemis Intimes » est un véritable flop, un accident industriel pour reprendre un terme d’un des dirigeants de TF1.<br /> Il est vrai que le livre fut massacré avec une haine rare dans la plupart des journaux. <br /> Il n’y avait qu’à écouter le sieur Nauleau, apôtre auto proclamé de la « vraie littérature qu’elle était mieux avant » traiter de lâche Houellebecq quand celui-ci a décliné l’invitation sur le plateau de Ruquier. Franchement, comment ne pas comprendre Houellebecq ? A quoi bon quitter son Irlande pour venir dans une émission se faire vilipender par un cuistre prétentieux ?<br /> Le nouvel Obs, lui, qui n’est pourtant pas tendre pour les deux auteurs –Garcin est une des cibles de BHL- salua la qualité intellectuelle de l’échange épistolaire. <br /> <br /> Pour dire la vérité, j’apprécie beaucoup Houellebecq. <br /> Ce misanthrope forcené que l’on accuse de tous les vices (misogynie, racisme, eugénisme, etc.) a quelque chose de touchant. Sa haine du monde moderne, absolue rejoint dans sa radicalité celle d’un Dantec.<br /> Son style est plat. Il ne croit pas au style, de toute façon. <br /> Ces livres mêlent scènes de pornographie, sciences dures, philosophie, satire sociale dans un pot pourri surprenant. Il ne croit pas aux genres littéraires. <br /> Il est cultivé mais il ne croit pas au savoir. <br /> Le premier livre qu’il écrivit fut une biographie de Lovecraft, elle est intitulée « contre le monde, contre la vie ». Tout est dit. Pour Houellebecq, la haine de ses semblables est la source d’inspiration de Lovecraft. Quand, il parle de Lovecraft et de sa haine radicale du genre humain, il n’est pas difficile de comprendre qu’il parle aussi de la sienne. Il reconnaît que Lovecraft est un salaud, un raciste haineux, jaloux de la vitalité des autres, se méprisant et méprisant les autres. Lovecraft vivota en publiant des Nouvelles Fantastiques dans des revues bas de gamme, alors que son intelligence le prédisposait à des plus grands desseins. Seulement voilà, Houellebecq l’écrit fort bien, les gens intelligents ne sont jamais heureux et ils ratent souvent (toujours ?) leur vie. Houellebecq pense la même chose de lui-même. <br /> <br /> Bien sûr, on reste circonspect quand les deux se plaignent de « persécutions ».<br /> Certes, les critiques ne les aiment pas - en même temps ils ne font rien pour l’être- mais le public les suit : Houellebecq est un des écrivains les plus lus en France comme à l’étranger. Levy est un des philosophes français les plus commentés et les plus appréciés à l’étranger, en particulier dans les campus américains.<br /> <br /> En définitive, ce livre est, pour moi, l’ouvrage de la rentrée littéraire. Il ne recevra aucun prix. Mais au fond, cela n’a pas la moindre importance.
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