Le neveu de Lacan de Jacques-Alain Miller
Résumé des éditions Verdier.
« Le point de départ : la première page du Monde.
Le 21 novembre 2002, elle est consacrée aux « nouveaux réactionnaires ». Cela,
en l’honneur du tout petit livre (96pages) d’un inconnu, Daniel Lindenberg : il
« brouille les familles intellectuelles », assure le journal. JAM trouve cela
étrange. Il lit l’ouvrage, y découvre son nom, se pique au jeu, tire le fil
jour après jour »
Pourquoi faut-il lire ce livre
?
Il faut le lire pour démasquer une sacrée entreprise, une drôle de cabale parisiano-intellectuelle. Il faut le lire parce que cette exemplification (exemple et amplification) autour du livre L’appel à l’ordre de Linderberg permet à la fois de questionner la situation de la politique, de la psychanalyse et de la littérature aujourd’hui, mais aussi de prendre acte de l’arrivée de livres et de concepts comme des armes à faire sens dans le débat intellectuel, voir à la reconfigurer.
Pourquoi ne faut-il pas le
lire ?
Parce que, vous n’y comprendrez rien si vous ne connaissez pas un peu Lacan, Freud, l’histoire moderne et contemporaine… Mais vous pouvez y remédier facilement en lisant Nous autres modernes d' Alain Finkielkraut ; parce que le livre de JAM est compliqué, exigeant, difficile à suivre, et demande une réelle connaissance de la vie intellectuelle française des années 60 à nos jours…
Et de quoi parle-t-il ce livre ?
Le petit opuscule de Linderberg est, JAM le démontre, l’œuvre d’un homme qui a aimé Staline, puis l’a renié ; qui a basculé du côté d’Althusser et des Ulmiens, puis les a reniés ; qui est devenue maoïste et a milité avec eux, puis les a reniés ; pour finalement rentrer dans la revue Esprit, revue philosophique chrétienne. Là, il écrit son opuscule sous la direction du professeur Rosenvallon, titulaire d’une chaire au collège de France, membre d’Esprit, qui a bien l’intention, JAM le démontre, de chambouler la vie intellectuelle française. En effet, la collection dans laquelle Lindenberg est publié est une sorte de Que sais-je ?, donc accessible à un grand public… Pour Rosenvallon, comme pour Linderberg, il s’agit d’écrire un ouvrage qui soit un moyen de faire pression sur le monde intellectuel français.
On le connaît bien le procédé : nettoyage, chasse aux sorcières. Linderberg se présente comme un homme de gauche qui dénonce ceux qui ont trahis la gauche. Le parcours du monsieur est éloquent : un habitué de la critique, de la remise en question ; principe de fascination / répulsion ; Linderberg est, par essence, un dénonciateur. Instrumentalisé. Mais pourquoi ? Quel est l’intérêt de Rosenvallon ? L’enquête se lit de manière chronologique dans le livre de JAM : pour faire sa niche dans le paysage intellectuel ; pour, par exemple, amorcer un mouvement de rapprochement entre catholiques et protestants, au détriments de juifs. Pour choquer, brouiller les familles intellectuelles, jeter l’anathème sur certains dans un livre trop bien écrit explique JAM parce qu’un ton pale et sans reflet, froid et calculé, donc innocent d’apparence…
Le programme de Rosenvallon, instigateur de Linderberg, c’est de faire triompher manifestement une modernité qui refuse et conteste la jouissance de chacun. Démocratie : tous égaux, tous pareils ; la Loi fait force de démocratie. La démocratie est un lieu vide. On peut tous y coexister en amenant son chez soi avec nous.
La modernité, finalement, est aliénante. JAM souligne que Linderberg accuse Flaubert et Baudelaire, leur reproche leur scepticisme face à la démocratie, leur refus de la modernité (déjà). Il s’agit donc de condamner ceux qui ne sont pas heureux du monde tel qu’il est.
Il y a là une impasse. Société de consommation pour JAM : nivellement par le bas des désirs, des envies. La jouissance est normalisée, contrôlée ; personne ne doit sortir du rang, chacun doit faire ce qu’il à faire.
D’où le refus de la modernité. Le refus d’être un Etre qui soit normalisé. D’où l’inquiétude que l’on doit avoir de suivre un homme prétendant critiquer Baudelaire ou Flaubert pour leur mélancolie ; d’où l’inquiétude de voir dénoncer des intellectuels juifs, parce qu’ils sont juifs et donc contre le nivellement des visages ; inquiétude aussi pour la psychanalyse, que l’on voudrait tant voir contrôlé et les praticiens évalués : manière commode de dire que le symptôme et la souffrance doivent être vites remis au placard, qu’il faut pour l’homme être très vite, de nouveau, un bon citoyen productif.
Rosenvallon / Linderberg : en dénonçant les nouveaux réactionnaires, ils ont en fait désignés tout ceux dont la manière de penser était critique à l’égard de la France et du modèle français ; ceux qui faisaient vivre le débat ; ceux qui animaient et soulignaient la souffrance. Nouveaux réactionnaires ? Façon de dire : ceux qui contestent qu’il y a un sens et un mouvement historique naturel. Comme si tout devait aller ainsi et pas autrement. Comme si la modernité tendait forcément vers le mieux… Rire nerveux : et les génocides du XXe siècle, et le racisme galopant, et les extrémismes de tout bord, que racontent-ils sur cette modernité ? La même chose selon moi qu’hier : que l’homme ne sera jamais satisfait de l’Homme.
De quoi parle-t-il d’autre ?
De l’Homme de gauche, mort et enterré.
Du fait que le propos de Lindenberg tient peut-être à redonner une virginité à la gauche en cherchant à débusquer le marrane, le faux converti, en ostracisant donc celui qui ne serait pas un homme de gauche.
Le livre parle aussi de l’interprétation psychanalytique. Ce que ça vient faire là, mystère, mais JAM tient son journal, il écrit ce qu’il veut : très long chapitre, bien difficile à dire sur le Dire et le dit (Enonciation d’un discours, et énoncé, soit le discours en lui-même). Réflexion sur le langage mathématique : tout ça pour dire que lorsque l’on entend le dit, on en oublie le dire. Or, le dire est critiquable, car ce n’est pas parce que l’on dit une chose qu’elle est vraie. Le dire, soit le principe de parler, peut dénoter quelque chose : l’interprétation psychanalytique s’en occupe justement de se dire, et elle se fonde à l’instar des mathématiques : elle ne peut ensuite être reprise et analysée. L’interprétation est le degré mathématique du discours qui ne supporte pas d’interprétation de l’interprétation.
JAM évoque aussi la littérature du XIXème et le procès que lui fait Linderberg : critiquer les grands auteurs qui ont eu le malheur de ne pas adhérer au « pour tous » fallacieux de la démocratie. Ce refus de l’ordre, du tous pareil désole JAM qui y voit le signe de la bureaucratie. Une bureaucratie incarnée parfaitement par Nicolas Sarkozy : ce que JAM souligne chez lui, c’est qu’il en appelle au nivellement, au tous pareil, au sevrage de la jouissance en somme pour que cette dernière rentre dans le rang : voilà pourquoi l’homme est dangereux.
Lorsque le « Pour tous » est en place, lorsque règne un Etat qui ne gouverne plus mais se contente d’administrer, apparaît alors le Maître que Jacques Lacan a beaucoup dialectisé après mai 68 ; celui qui va se lever pour redonner du sens à la politique qui ne peut pas se contenter d’être une enveloppe vide et déconnectée du réel.
En cela, le livre de JAM est un
authentique pamphlet réactionnaire : amusant pour un ancien maoïste.
Amusant aussi dans la mesure où JAM cherche à nier la pertinence du livre de
Lindenberg : en fait, bien au contraire, il en souligne la grande intelligence.
L’auteur a parfaitement compris le jeu et JAM de lui donner raison mille fois.
Mais mille fois il démontre que le règne de l’égalitarisme n’a, d’un point de
vue de l’économie de la libido, aucun sens. Que le « tous pareil » ne
conduit pas au bonheur mais au nivellement de la jouissance dont l’Etat tire
puissance.
La force de JAM aura été, dans ce
livre, de démontrer l’inanité de la démocratie en soulignant que s’appuyer sur
la masse ne permet aucune explosion de force mais implique que tous regardent
au même endroit, au même moment.
Vive les réactionnaires !