Médée et Les Troyennes d'Euripide
La Médée d’Euripide se singularise, tout comme la deuxième pièce du recueille Les Troyennes, par de longs pavés monologués : une poignée de personnages sont sur scène et échangent finalement très peu, leurs discours se complétant plus que se répondant. En découle un rythme n’ayant rien à voir avec des pièces modernes comme celles de Racine ou de Molière, voire même de Sophocle. Ici, on entre dans la pensée d’un autre dont on entend raconter les tourments : l’action n’est pas, réduite à sa portion congrue, tout passe par l’étendue du néant de l’Etre.
Dans Médée, Euripide met en scène l’épouse de Jason : la « barbare » est délaissée pour une princesse grecque ; insulte pour Médée qui décide de se venger de manière cruelle et monstrueuse. À la différence de la pièce de Sénèque dans laquelle Médée jouit de son crime à venir et a une personnalité particulièrement cruelle (André Glucksmann y voit l’archétype du nihiliste terroriste dans son livre Le discours de la haine), Euripide donne à son héroïne une personnalité tourmentée, une haine qui grandit mais reste inféodée à un fatalisme qui rend Médée bien plus humaine, bien qu’elle reste un monstre.
Dans Les Troyennes, Euripide pousse encore plus loin le pathétique humain : la guerre de Troie vient de prendre fin et les vainqueurs se partagent les restes. La femme de feu Priam, Hécube, apprend qu’elle va devenir esclave tout comme sa fille ; quant à ses fils, ils seront précipités des falaises de la ville fantôme. Un écrit terrible, d’une modernité hélas insupportable, qui restitue à merveille la douleur incroyable du vaincue à la fin d’un conflit : l’horreur vient aussi du fait que sont victimes de l’affrontement des innocents n’ayant pas pris part à la guerre (la majorité des victimes des guerres d’aujourd’hui ne sont plus les soldats mais les civils !). Du coup, le texte relativise totalement la prétention des héros de l’Iliade à l’héroïsme et entend dénoncer toute prétention à la noblesse de l’activité guerrière.
Aride et désespéré, voilà comment qualifier le théâtre d’Euripide. Bien que courtes (une quarantaine de pages), les pièces du recueil sont difficiles à lire, extrêmement denses et faisant naître une sensation de douleur et de lassitude dans le cœur du lecteur. Autrement dit : on ne lit pas Euripide pour prendre du plaisir à la lecture, mais pour se confronter à la souffrance la plus entière. Un texte majeur pour les anti-militaristes et les nihilistes romantiques.
Librio, 2 euros.