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Le blog de Menon
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13 juin 2007

Les Frères Karamazov de Fédor Dostoïevski

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Les frères Karamazov de Fédor Dostoïevski n’est pas un roman comme les autres. Il dépasse le simple concept de récit pour toucher à la métaphysique. Il refuse le carcan de littérature pour parler de religion et de philosophie… Qu’on en juge : un roman policier de plus de 900 pages dont l’enquête ne commence qu’à la page 600 est-il réellement un roman policier ? Son récit est éclaté, complexe et baroque, mais résumable néanmoins : le père Karamazov a dérobé à son fils Dimitri une partie de la fortune devant lui revenir depuis la mort de sa mère. Ce dernier est en procès avec lui. Pire : ils convoitent tous deux la même femme. Spectateurs de cette dispute, les autres frères, Yvan et Aliocha. Le premier, amateur de socialisme russe (en fait, du proto-communisme si on se remet dans le contexte russe de l’époque) défend une vision athée de la vie et sent le sol se dérober sous ses pieds en réalisant que si Dieu n’existe pas, « alors tout est permis ». Quant à Aliocha, moine noble et généreux, il apprend de la bouche de son Starets, père spirituelle au pouvoir absolu, qu’il va devoir quitter le monastère, prendre femme et surtout, tout faire pour éviter qu’un grand malheur ne frappe sa famille.

En mettant en scène le destin tragique de la famille Karamazov, Dostoïevski étudie ses contemporains de frères russes dans une œuvre toujours d’actualité. La tragédie familiale ressemble, tout comme les réflexions du livre autour du Bien et du Mal, à s’y méprendre à ce que nous vivons aujourd’hui – elle nous offre un miroir de nos propres angoisses. Le père Karamazov, cette figure de père(vers), déchu de son rôle, avili, incapable de faire régner l’ordre dans sa famille et corrompu, peut être vu comme l’archétype du mauvais père ou comme la caricature de l’État ou bien le symbole de la déliquescence de la société… Son fils Dimitri, perdu face à ce père, désespéré de ne pouvoir être un honnête homme, incapable d’aimer noblement, ne ressemble-t-il pas à notre jeunesse dont le fond est bon, mais le comportement scandaleux ?... Yvan, avec sa casuistique poussant au sophisme, ne sachant que choisir entre le Bien et le Mal, défendant un athéisme militant, et horrifié de là où l’emmène ses réflexions ne ressemble-t-il pas à l’Homme moderne privé de repères et de causes pour laquelle se battre ?... Quant à Aliocha, le moine, homme doux et humble, naïf et honnête, n’incarne-t-il pas la possibilité d’un Christ terrestre ? Ne serait-il pas la preuve que l’on peut se faire juste et bon avec son semblable ? – le seul véritable personnage positif du livre sera tel un phare dans la nuit pour le lecteur perdu dans l’immensité du œuvre qui le battra comme la mer se fracasse sur les rochers.

Les trois frères évoquent trois courants de pensés russes, trois directions possible pour le Monde. Rien n’a changé aujourd’hui. Les réflexion enlevées et terribles de Dostoïevski sur la mort, la souffrance, la violence, l’existence de Dieu, la politique, la médiocrité des Hommes, les pitreries de la justice, la haine de soi, le dégoût de l’être… tout ça reste encore et toujours actuel, fort et implacable.

On ne peut donc pas lire Les frères Karamazov et le refermer sans en avoir souffert. Venir à bout de cet énorme pavé implique une ascèse de lecture, une force de caractère : Dostoïevski y a mis tout, toutes ses idées, tous ses romans, toute sa philosophie. Après ça, plus rien – comprenez que, en corollaire, le lecteur lui-même n’est plus rien : il a été déchiqueté par les flots des mots et reprends péniblement son souffle… Voilà une œuvre terminale qui ressemble au fleuve dans lequel viennent se perdre les mers : il ne faut donc pas commencer par ce livre si on ne connaît pas Dostoïevski ; l’auteur est à lire dans l’ordre chronologique de ses écrits pour apprécier la progression et la montée en puissance. Pour les connaisseurs du Russe, ces Frères Karamazov terminent un cycle littéraire en élevant le roman au stade de thèse philosophique ; un livre qui résume le drame de l’humanité et entend crier son amour au Christ ; affirmer la suprématie de l’Amour sur tout : pour notre époque, une évidence !

Gallimard, 9,20 euros.

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Commentaires
M
pour bella
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