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Le blog de Menon
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4 juin 2007

Les carnets du sous-sol de Fédor Dostoïevski

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Réfugié dans son sous-sol, le personnage que met en scène Dostoïevski ne cesse de conspuer l’humaine condition pour prôner son droit à la liberté. Et il n’a de répit qu’il n’ait, dans son discours, humilié, diminué, vilipendé les amis de passage ou la maîtresse d’un soir. Un monologue féroce et imprécatoire : ainsi l’éditeur Actes Sud présente-t-il ce livre de Dostoïevski.

Perdu dans un sous-sol, soit enfermé en lui-même, un homme contemple la scandaleuse horreur de sa vie. Rejeté par la société, bien qu’il semble parfaitement intégré, le héros de ce récit auto-biographique souffre d’un bovarisme maladif. Car enfin, cet homme a lu, beaucoup lu, il est enivré de l’idée de beau et de sublime comme il dit : mais, douleur !, il réalise que ses appétits de beauté n’existent qu’en lui. Lorsqu’il se confronte à la réalité, il ne retrouve rien ressemblant aux romans : le monde tel l’entourant n’invite pas à la poésie des mots.

Cette douloureuse révélation se double d’un penchant paranoïaque, doublé d’une homosexualité latente, qui bouleversent son esprit. Dès lors, irrémédiablement, il est fichu. Il faut voir comme il se débat pour se faire accepter, mais comme il peine à voir, comme il se ridiculise. Sa haine grandit de par son incapacité à exister en tant qu’être complet : en ombre portée se dessine la figure du nihiliste chez lui ; voilà un homme prêt à quelque attentat pour s’offrir un roman vivant.

Le drame de sa vie ressemble au drame de la nôtre ; le tragique de son existence ressemble à celui que nous vivons. Pourtant, Les carnets du sous-sol de Fédor Dostoïevski a été écrit en 1863 ! Mais déjà, le romancier russe avait saisi cette douleur causée sur certaines âmes par la littérature. Car aujourd’hui, quelle tragédie vivons-nous ? Celle de n’avoir plus aucune espérance comme lui n’a plus de place à occuper. Le communisme est mort, la religion amène la mort, les gouvernants sont tous des pourris, nous savons tout ou presque de la catastrophe de ce pays dans lequel jamais nous ne mettrons les pieds à la minute même où elle se produit ; ce pays, nous l’avons déjà visité par la télé, et contemplés ses merveilles. Nous sommes tellement ivres d’informations et de révélations que plus rien ne peut changer notre vie. Nous attendons et nous consommons. Nous sommes des Romains en attente de nos Barbares.

Comme le héros des Carnets du sous sol, nous constatons que la beauté portée en nous-même n’a rien à voir avec celle du monde nous entourant. Nous pouvons nous enivrer de beau et de sublime, mais le monde, lui, nous environne menaçant.

Il y a donc une portée existentialiste dans ce livre, sartrienne, qui nous renvoie à ce que nous voulons faire de nous. Pouvons-nous encore nous réinventer ? En dévoilant un homme déchiré par la littérature, Dostoïevski révèle qu’être un homme n’a rien d’une entreprise évidente. En voulant faire de sa vie une sculpture, en nietzschéen, cet homme dans son sous sol s’est perdu face à lui-même : il  a cru que son essence précède son existence, qu’il était homme avant de naître. Mais il a découvert que ce qu’enseignent les livres n’a rien à voir avec le monde l’entourant. Sa déchirure nous renvoie à notre propre souffrance : à nous de nous réinventer.

Actes Sud, 6,50 euros.

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