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Le blog de Menon
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15 juillet 2006

Superman For Tomorrow de Brian Azzarello et Jim Lee

jim_lee_in_space

La question fera sens pour nombre de personnes ne lisant pas de comics, persuadées que Superman est un personnage sans relief ; un boy-scout légèrement, voir carrément fascisant ; un bon représentant des Etats-Unis, un chien de garde au costume kitschissime... Un personnage nul et sans intérêt, là où Batman séduit tout le monde, même ceux ne lisant pas ses aventures.

Faux. Irrémédiablement faux. Superman est un personnage complexe, bien plus complexe qu’un Batman dont personne ne sait vraiment plus quoi faire. Batman représente un concept fort et fascinant mais, en quelques récits cultes – Les Dark Knight de Frank Miller, le Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean –, la messe a été dite là où un Superman autorise toutes les approches, métamorphoses, audaces : parce que d’une richesse insurpassable – à la fois Ange Salvateur, symbole de l’impérialisme américain, objet d’espoir, fantasme adolescent, icône gay, j’en passe et des meilleures –, Superman autorise la lecture bêtifiante des super-héros pour enfant, mais aussi l’analyse psychologique et philosophique d’un Friedriech Nietzsche.

For Tomorrow constitue une des dernières tentatives pour bouleverser le mythe de Superman ; Brian Azzarello, le scénariste, va s’abreuver à la source même du personnage, à savoir sa dimension religieuse. Car Superman a été imaginé par deux adolescents juifs américains : une planète supérieure est détruite, le père envoie son fils à travers l’espace sur la Terre… Moïse ? Jésus ? Pouvoirs merveilleux, sens de l’honneur et de la justice, volonté de protéger les faibles et les démunis contre les puissants. Le héros biblique était de retour. Et dans un pays catholique, Superman ne tarda pas à devenir un nouveau Jésus Christ comme l’écrivait d’ailleurs Grant Morrison lorsqu’il scénarisait la JLA dans les années 90.

SupermanTalkingToPriest_JimLee

L’histoire : sur Terre, des humains ont disparus sans raisons, littéralement évaporés, ne laissant d’eux qu’une trace. Superman, en mission dans l’espace pour sauver son ami Green Lantern n’a rien pu faire. Mais le pire dans tout cela est que Loïs Lane, sa femme, a disparue. L’homme d’acier est désespéré, perdu, brisé. Il sent sa part humaine s’éloigner de lui, il se sent coupable d’un pêché trop lourd pour ses épaules. Le prêtre Léone va alors devenir son confesseur et amis : Superman lui parle de ses souffrances et peurs… En même temps, il se rend dans un pays du moyen orient en pleine guerre et aide le général qui a pris le pouvoir à pacifier la région. Mais qu’elle n’est pas sa surprise de découvrir le globe qui a servi à rayer les humains de la carte entre les mains du général. Seulement, voilà, le pire est encore à venir car la conclusion de ce récit se révèle en effet choquante. Tellement choquante que DC a fait table rase de ce récit. Au vu des chroniques lues sur le Net concernant le dernier numéro de l’histoire, il paraît évident que personne n’a réellement compris ce qui s’est passé. Il faut dire que la révélation dépasse tout ce qui a été imaginée jusqu’à aujourd’hui en terme de déconstruction d’un icône.

Superman ne vous apparaîtra plus comme le même une fois que vous aurez lu For Tommorow. Exercice de style intellectuel brillant, ce récit, superbement illustré par Jim Lee, semble avoir voulu racoler le grand public en lui en mettant plein les yeux grâce aux dessins, mais pour mieux bouleverser sa vision du personnage à la fin. Si Azzarello voulait cracher à la gueule de son public, il ne s’y serait pas mieux pris. Remercions le, et remercions DC d’avoir autorisé ce suicide en direct – auquel personne ne semble, malheureusement, avoir compris grand-chose.

superman205

Superman For Tomorrow : épisodes 204 à 215 de la revue américaine Superman

Pour l’édition française, il faut acheter la revue Superman éditée par Sémic, puis reprise par Marvel :

http://www.comicsvf.com/fs/18165.php et http://www.comicsvf.com/fs/18406.php

Pour l’édition américaine, il existe deux albums en hardcover (couverture dure) et le seul le premier tome de la saga est pour le moment en couverture souple (softcover) : http://www.dccomics.com/graphic_novels/?cat=SUPERMAN

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Commentaires
D
Azzarello a écrit une oeuvre d'une rare complexité, à chaque lecture je vois de nouvelles choses !<br /> <br /> On nous montre que Superman est un être torturé et frustré, quoi qu'il fasse, malgré sa puissance, il ne peut créer un Paradis sur Terre.<br /> Quand il désarme des gens, ceux-ci commencent à lui lancer des pierres, il aide un militaire à rétablir la paix et découvre que celui-ci est un criminel de guerre qui a fait exécuter ses opposants.<br /> <br /> Je crois que l'auteur essaie aussi de nous montrer, que malgré ses efforts, Kal-El demeure un Kryptonien, pas un homme et qu’il ne peut pas comprendre vraiment l’humanité qu’il entend défendre.<br /> Durant un échange avec Batman, celui-ci l'appelle Clark, il le corrige, "mon nom est Kal-El ». Son humanité est ainsi factice, il est kryptonien avant tout. Il entretient d’ailleurs dans son antre le culte et la nostalgie de cette Krypton perdue qui semble à ses yeux si parfaite, si paradisiaque. Alors, pourquoi ne pas imposer le paradis à tous ?<br /> <br /> Jor El avait créé une dimension de détention : la Zone Fantôme, pour enfermer les criminels, dont son ennemi le général Zod. <br /> Kal El, dans sa forteresse de la solitude, imagine un (son) paradis qu'il fabrique à partir de l'oeuvre de son père. Bref, il fait oeuvre de démiurge. Par là, il devient odieux au monde, et provoque les disparitions. <br /> <br /> Bien sûr, il n'est pas responsable directement de la disparition des mortels, puisque c'est Zod qui est parvenu à ouvrir une brèche dans notre monde et qui attire ses derniers.<br /> Mais si Kal-El n'avait pas joué les savants fous, s'il n'avait pas modifié la zone fantôme, les humains n'auraient pas disparu.<br /> <br /> Superman ressemble à Promethée. Ce titan avait voulu donner le feu des dieux aux mortels pour les rendre plus heureux, il leur amena de fait la ruine, le bien qu’il a pensé faire devient une calamité absolue. Le feu était fait pour les dieux, pas pour les hommes.<br /> Superman aimerait, au fond de lui, transformer la Terre pour en faire une nouvelle Krypton, mais cela ne peut que se finir mal.<br /> D’abord les humains sont happés par ce paradis factice, puis quand Superman essaie de les sauver et triomphe de Zod (qui semble être le double de son père), ce Paradis est perdu pour toujours au prix du sacrifice du Pasteur.<br /> <br /> Superman réalise que les humains ne sont pas Kryptoniens.<br /> Je crois que c’est cette douloureuse compréhension qui lui fait quitter le monde, une fois les humains sauvés, on pourrait s’attendre à ce qu’il aille retrouvé Lois pour un Happy-end, mais il s’en va résider dans une nouvelle Forteresse de la Solitude.<br /> Réalise-t-il que la place d’un dieu n’est pas parmi les hommes ? Et que son intervention cause le malheur de ceux-ci, même si ces intentions sont pures ?<br /> Comme Prométhée enchaîné à son rocher, il semble devoir expier, en ce demandant, lui le dernier de sa race, qui viendra le sauver de lui-même et de son passé.<br /> <br /> A la prochaine.
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M
Passionnante analyse que tu me fais là Darthantos !<br /> Je n'ai presque rien à y dire si ce n'est que [SPOILER] je ne crois pas avoir compris la même chose que toi dans l'histoire. En effet, il ne me semble pas que la Terre ait délibérément fait disparaître les humains (en fait, je dis "il me semble" car ma lecture remonte à un moment déjà). <br /> <br /> J'ai compris, pour ma part, que Superman avait créé un Paradis pour les humains et que c'était lui le responsable de leurs disparitions (un certain nombre de fait l'atteste, mais ma lecture remonte trop loin pour que je m'en souvienne). Sa mémoire a volontairement été effacée pour qu'il ne s'en souvienne pas et le reste de la JLA était complice de sa décision et devait l'empêcher de se souvenir de cela.<br /> <br /> Bref, peut-être ai-je mal lu, mal interprêté, car le récit est fort complexe ? Que penses-tu de mon interprétation ?
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D
J’ai lu avec un profond intérêt cette chronique, il est vrai que la vision de Azzarello a surpris de nombreux lecteurs. Mais, il y a peut être une explication.<br /> <br /> Superman, comme tu l’indiques, est effectivement un personnage méconnu, parce que justement on croit le connaître.<br /> <br /> On oublie que dans super héros, il y a le terme d’héros. Et c’est sur ce thème qu’il faut insister.<br /> Le héros et étymologiquement un demi-Dieu, un « hémithéos ». Il est engendré par un dieu avec un mortel dans le but de devenir son envoyé, le rôle de l’héros est simple, il doit aider les simples mortels à anéantir les monstres et les démons qui les oppriment, le monstre peut parfois prendre la forme d’un despote, ainsi le héros oppose la vertu au vice.<br /> En éliminant le mal, il restaure l’ordre et l’harmonie voulue par les dieux.<br /> <br /> Dans la plupart des mythologies et des religions on retrouve de semblables êtres qui passent leur vie à exterminer des monstres ou à abattre des tyrans sanguinaires. Ce, y compris dans les religions monothéistes, ainsi le héros Samson a reçu la bénédiction et le pouvoir divin, d’une certaine façon le saint catholique en accomplissant des miracles, donc en détruisant le mal, est aussi un héros.<br /> <br /> Superman, lui est un envoyé de la planète Krypton, avancée à tous les points de vue, ses habitants sont comme des dieux.<br /> Superman est omnipotent, il en aura bien besoin pour anéantir des ennemis aussi redoutable que Darkseid, Brainiac ou Luthor. Or, ces ennemis ne sont pas que des colosses qui cognent forts, ils symbolisent tous des perversions. Darkseid est celle du pouvoir, Luthor celle de la science, et Brainiac celle de l’intelligence.<br /> <br /> Cet aspect héroïque, de rétablissement de l’harmonie a été toujours exploité par les créateurs, mais on a que peu exploité la face d’ombre du demi dieu, Azzarello lui, l’a fait.<br /> <br /> Les anciens nous apprennent que le mélange de sang divin et humain est nocif à la longue.<br /> Le héros est souvent caractériel, libidineux, cruel, asocial et profondément instable. <br /> Certains deviennent fou, comme le malheureux Héraclès qui massacre sa femme Mégare et ses jeunes enfants, ou bien le Bersekir scandinave qui décime non seulement ses ennemis, mais qui, aveuglé par le goût du sang, élimine aussi ses alliés.<br /> Bref, malheur aux proches des héros !<br /> <br /> De tels êtres sont en effet « démesurés », ils sont tiraillés entre l’humanité et la divinité, qu’ils ne peuvent atteindre.<br /> Bref, ce sont eux aussi des monstres, comme ceux qu’ils sont sensés éliminer, eux aussi sont des agents du chaos. Ils doivent disparaître d’une façon ou d’une autre.<br /> Les dieux sont vigilants car, les héros finissent souvent mal, ils se suicident comme Héraclès, ils meurent seuls comme Jason, ou bien ils se massacrent lors de guerres monstrueuses, comme celle de Troie où la quasi-totalité des héros grecs succombe, permettant à l’humanité de se développer.<br /> <br /> Azzarello présente ainsi Kal El comme un être omnipotent, mais il n’en demeure pas moins une anomalie de la nature, une source de tension une insulte à l’ordre cosmique, la nature se défend contre cet agresseur en faisant s’évaporer la moitié des humains pour tenter de rétablir l’équilbre rompu. Comme dans de nombreux mythes, la Terre essaie de se défendre contre son agresseur de héros, la scène où les élémentaires attaquent Superman me semble parlante.<br /> Pour que le monde survive, Superman doit ne plus être là nous affirme Azzarello.<br /> Chose dérangeante, je le conçois. <br /> D’ailleurs il récidivera avec cette idée, dans son « Lex Luthor ». Dans ce court récit disponible chez Panini, nous voyons Superman par les yeux de Luthor. Pour Luthor, Superman prive l’homme de sa liberté, y compris celle de se détruire, au nom de quel droit cet alien se permet-il de donner des leçons à l’humanité ?<br /> Luthor est un humaniste dans le sens où il ne croit qu’en l’homme, toute intervention extérieure lui apparaît comme une entrave à la liberté humaine. <br /> Bref, dire que le comics n’a pas d’intérêt, me semble bien stupide !<br /> <br /> Cordialement.
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