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Le blog de Menon
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11 mars 2006

Politique du rebelle de Michel Onfray

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Lettre ouverte à Michel Onfray

Cher monsieur Onfray,

Si je vous écris aujourd’hui, c’est pour vous faire part de mes sentiments à la lecture de votre Politique du rebelle… Voilà un livre bien imposant, presque trop tant il aurait mérité des développements et éclaircissements, et qui parle de tellement de choses, qui se révèle tellement complexe, que le suivre et en venir à bout m’a coûté une réelle énergie, un réel investissement.

Voilà un livre, je crois, que l’on ne peut pas réellement aimer. Pas parce qu’il serait mauvais, mais plutôt parce qu’il nous renvoie à une part maudite que nous cherchons tous à taire. C’est que vous renvoyez à votre lecteur une angoisse inconsciente profonde : « Tu es un esclave ! », clamez-vous tout au long des pages de votre livre. Quand bien même je pense finalement, comme vous, que l’homme est prisonnier d’une société le structurant pour en faire un instrument productif, je n’ai pu en concevoir qu’un certain malaise. C’est que, confronté à l’expression même de ce que je pensais, espérant me tromper, j’ai dû me résoudre à reconnaître que mon point de vue sur le sujet trouvait un écho chez un philosophe et que donc, je ne pensais peut-être pas de travers.

Votre découpage à la Dante de la société/enfer dans lequel nous vivons m’a lui aussi beaucoup intéressé, car vous pointez avec une saisissante acuité comment la société a su stratifier l’accès au bien être en exigeant du sujet une complète servitude. Je remarque d’ailleurs que sur la partie des SDF, Patrick Declerck ne dit finalement guère plus dans son excellent essai Le sang nouveau est arrivé… Toutefois, je me permettrais une remarque concernant les délinquants. Lorsque vous pointez les méfaits de la prison sur leurs travers, je vous suis. Par contre, il y a comme une contradiction chez vous lorsque vous dites que la bonne façon de s’occuper d’eux serait de les réinsérer. Puisqu’à vous lire, on comprend que la société vous modèle pour que vous ne sortiez pas du rang, si sortir du rang était suivi d’une réinsertion, cela reviendrait finalement toujours à modeler l’individu et non pas à écouter sa voix et son angoisse. De plus, personne ne force un individu à devenir délinquant : la nécessité peut certes l’y pousser, mais j’avoue avoir du mal à plaindre un délinquant comme je plains un SDF ou un RMIste.

Concernant la partie sur l’art et l’action politique, la sculpture de soi et l’idéal à incarner, j’ai finalement peu de choses à dire si ce n’est : y croyez-vous réellement ? Je ne nie pas que l’exemple d’un homme soit essentiel à ce qu’un autre homme prenne exemple et essaye à son tour de sortir du rang, mais convenez qu’il y a là une formidable impression d’impossibilité. La sculpture de soi en idéal nietzschéen ne me paraît pas réellement probante. Un ouvrier, cassé par une journée de travail et les brimades diverses que vous dénoncez, aura-t-il la force, le soir, de se plonger dans les livres de philosophie et de remettre sa vie en question ? Cette posture n’est-elle pas limitée à quelques intellectuels libres de leur temps ? Intellectuel que vous incarnez d’ailleurs : l’université populaire de Caen prouve que vos propos sont relayés par une réelle action à la différence d’un Bernard Henry Lévy jamais nommé, mais dont l’ombre apparaît à de nombreux recoins de votre texte. Je crois deviner (mais sans doute ai-je tort) que vous lui en voulez d’autant plus que sa Barbarie à Visage Humain n’est finalement pas si éloignée que cela de certaines de vos constatations sur l’Etat.

Finalement, le point qui me paraît le plus surprenant concerne les camps allemands. Chez vous la question du Juif n’apparaît pas : le camp ne se pose pas en terme de Shoah, mais en exergue d’une réalité : celle de l’usine et de la main mise du contremaître sur l’homme. Vous vous basez pour cela sur les écrits d’un ancien déporté : vos propos ne sont guère contestables puisque vous relayez ceux d’un homme ayant vécu cela de l’intérieur. Juif moi-même, j’ai quelque peu de mal à accepter l’idée que l’on parle du camp sans parler du signifiant Juif dont le camp n’est certes pas le signifié mais en tout cas l’implicite aux yeux de nombreux penseurs (ce qui est contestable aussi parce que c’est oublier les Tziganes, homosexuels, noirs, et autres déclassés présents là-bas). Cela fait donc du bien de voir quelqu’un penser un « après les camps », plutôt que de ressasser un dolorisme névrotique, et surtout d’éviter de tomber dans le piège d’un Benny Lévy qui avec son Etre Juif se trouve à la limite de formuler une théorie de la supériorité de la race Juive… Non, en réalité, ma gêne est d’ordre plus logique : Antelme estime que la réalité de l’entreprise et de la société est à l’image du camp. Or, il me semble que c’est partir de la conclusion pour en remonter aux prémisses : le camp, voilà ce qui est l’expression extrême du capitalisme, lorsque ce dernier ne connaît plus aucune sensibilité humaine. Le camp est le signifiant maître de la société machiniste et fonctionnaliste, pas le contraire. Et ce point de vue qui est le mien est aussi défendu par certains historiens (vous me pardonnerez, mais je n’ai pas souvenir des références). Néanmoins, cela ne remet pas en cause le principe même de votre démonstration.

J’aime votre pensée, monsieur Onfray, même si je la trouve difficile à suivre et parfois abusive dans sa formulation (certes, le principe même de la pédagogie est la répétition, mais tout de même, par moments vous vous répétez vraiment beaucoup). Néanmoins, je n’avais jamais lu une opinion aussi nette et tranchée sur notre société et surtout une proposition de « comment s’en sortir ? », même si cette dernière ne résoudra, je le crains, jamais rien.

Avec tout mon respect,

Menon

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